Puis-je organiser un entretien préalable à un licenciement par visioconférence ?
Malgré un Code du travail muet et une jurisprudence partagée, la crise sanitaire et les mesures pour empêcher la circulation du virus tendent à légitimer le recours à la visioconférence pour l'entretien préalable à un licenciement, sous réserve de l'accord du salarié et des garanties procédurales.
Je m'abonneLa crise sanitaire a bouleversé les organisations de travail au sein des entreprises et contraint les directions des ressources humaines à adapter leurs pratiques RH.
Bon nombre de dirigeants se demandent naturellement comment organiser les entretiens préalables à un licenciement lorsque les mesures gouvernementales ordonnent d'éviter au maximum les rencontres physiques.
Si les réunions d'équipes Teams, Skype ou autre FaceTime se sont développées sans difficulté, le recours à la visioconférence dans le cadre d'une procédure de licenciement doit néanmoins emporter une plus grande prudence.
Un recours à la visioconférence non expressément prévu par la loi
Le Code du travail demeure silencieux sur les modalités de déroulement de l'entretien préalable. Ainsi, aucune disposition n'exige formellement que l'entretien préalable se tienne physiquement.
Néanmoins, la sémantique utilisée dans les articles relatifs à l'entretien préalable permet d'en déduire que le législateur n'envisageait, in fine, cet entretien que par une rencontre physique entre l'employeur et le salarié concerné.
La Cour de cassation a semblé en avoir une lecture similaire, en 1991, lorsqu'elle jugeait qu'une conversation téléphonique ne saurait remplacer l'entretien préalable(1)
Toutefois, force est de constater que depuis cette décision les outils technologiques ont particulièrement évolué et que la Cour de cassation ne s'est pour l'instant jamais prononcée sur la validité du recours à la visioconférence.
Une jurisprudence partagée sur la validité du recours à la visioconférence
Plusieurs cours d'appel ont refusé d'autoriser le recours à la visioconférence en jugeant notamment :
- qu'il ne ressortait pas des dispositions réglementaires d'application des articles L. 1232-2 et L. 1232-3 du Code du travail que l'entretien préalable pouvait se dérouler par visioconférence
- que le Code du travail ne comprenait aucune disposition permettant de déroger au principe d'une rencontre physique.(2)
Dans ces conditions, un employeur ne pourrait régulièrement imposer au salarié le recours à la visioconférence.
A l'inverse, la Cour d'appel de Rennes a admis la régularité d'un entretien préalable par visioconférence dès lors que l'employeur et le salarié en sont d'accord.(3)
Il est donc vivement recommandé de recueillir préalablement l'accord écrit et non équivoque du salarié concerné par la procédure.
D'un point de vue opérationnel, il pourrait être envisagé de solliciter l'accord du salarié lors de la convocation à l'entretien préalable en précisant qu'il dispose d'un délai pour donner son consentement au recours à la visioconférence.
Récemment, la Cour d'appel de Versailles a également reconnu la validité d'un tel recours, justifié en l'espèce par l'éloignement géographique des parties et du statut d'expatrié du salarié, sous réserve du respect des droits de la défense.(4)
Dès lors, l'employeur devra garantir au salarié le respect du contradictoire et les droits de la défense, notamment le droit de se faire assister, dans les mêmes conditions qu'une rencontre physique.
Par ailleurs, le salarié doit être en mesure de s'assurer de l'identité des personnes connectées.(5)
Bref, il résulte du silence des textes et d'une jurisprudence divisée, une certaine imprévisibilité juridique sur la validité du recours à la visioconférence.
Toutefois, le contexte sanitaire actuel et les mesures gouvernementales strictes destinées à éviter la propagation du virus permettront sans doute de justifier plus aisément le recours à ce procédé et ainsi de faire évoluer la position des juges encore réfractaires, à condition de :
- recueillir préalablement l'accord écrit et non équivoque du salarié ;
- garantir au salarié le respect du contradictoire et les droits de la défense;
Lire aussi : Des vacances zéro stress avec une voiture hybride
- d'assurer la confidentialité de l'entretien et de permettre au salarié de s'assurer de l'identité des personnes présentes.
Pour en savoir plus
Virgile Puyau est avocat associé au sein du cabinet Winston & Strawn, il dirige l'équipe spécialisée en droit social du cabinet.
1) (Cass. soc. 14 novembre 1991, n°90-44.195).
2)(CA Bourges, 15 novembre 2019, n°18/00201 ; CA Grenoble, 7 janvier 2020, n°17/10274).
3)(CA Rennes, 11 Mai 2016 n° 14/08483).
4) (CA Versailles 4 juin 2020, n° 17/04940)
5) (CA Bourges, Ch. soc., 15 janvier 2019, RG n° 18/00201).