La concurrence, bénéfique pour les individus
Raphaël Trembleau est technicien-forestier et veille à la bonne gestion de forêts privées. Parmi les arbres, qui sera le plus haut, le plus fort, atteindra la lumière ? Entre compétitivité et entraide, la concurrence est précieuse pour le bon fonctionnement de tout un écosystème.
Je m'abonneDans un coin de forêt sombre, l'environnement est difficile pour les arbres : ils doivent atteindre le sommet de la canopée pour capter la lumière, utile à leur bien-être. Ici, les espèces sont moins nombreuses. Seules les plus productives en termes de croissance et les plus concurrentielles parviendront à se démarquer. D'autres s'adapteront à l'obscurité : elles développeront alors une stratégie basée sur la longévité.
La forêt comme scène de la concurrence entre individus, tel est le quotidien de Raphaël Trembleau, technicien-forestier. Au sein du CNPF (Centre National de la Propriété Forestière), il conseille des propriétaires privés de forêts de Seine-et-Marne et de l'Essonne. Parmi ses missions : agréer les documents de gestion durable, qui prévoient la gestion d'une propriété sur 10 à 20 ans, réaliser des études et des expérimentations sur la forêt, puis vulgariser les méthodes de sylviculture auprès des propriétaires en les formant et les informant.
Compétitivité
Son objectif final ? Surveiller la bonne santé de ces espaces. " Nous sommes rattachés à un réseau de veille nationale où nous constatons si les arbres vont bien ou pas, et nous aidons les gens à comprendre. Nous renseignons aussi des données, en précisant des symptômes éventuels. Cela sert de base notamment pour l'Inra ou le CNRS ", précise Raphaël Trembleau, qui intervient également au sein de l'association de dirigeants APM. Et pour cet expert, la concurrence est un sujet pris très au sérieux. " En forêt, les arbres s'entrechoquent pour aller plus vite vers la lumière. Ils prennent la direction la plus courte pour atteindre leur but, ils donnent le meilleur d'eux-mêmes. Cela signifie notamment qu'ils poussent droit, ce qui est un atout en sylviculture. C'est pareil pour les individus : certes dans un contexte concurrentiel on prend parfois des coups, mais on apprend et on se dirige vers le meilleur pour soi ", compare-t-il.
La concurrence est alors un bénéfice ! En forêt, elle fait aussi intervenir des notions comme l'entraide. Cette dernière s'observe au niveau aérien, l'ambiance plus humide et protégée des extrêmes de température est favorable à la germination et à la croissance des très jeunes sujets. Au niveau des réseaux de racines, les arbres peuvent avoir des connexions racinaires directes ou indirectes dues à des champignons intermédiaires. Ils se transmettent alors de la matière pour cicatriser des plaies ou survivre.
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Parfois, ceux qui arrivent à passer au-dessus renvoient des éléments nutritifs à ceux qui n'ont pas encore de lumière. Pour Raphaël Trembleau, " la concurrence n'est pas qu'un inconvénient. C'est un processus naturel favorable qu'il faut respecter et maîtriser si nécessaire. " En entreprise, la concurrence s'exprime sur un même poste, une même fonction ou sur un même projet. " Elle permet de créer une certaine émulation entre les personnes. C'est profitable pour l'émergence d'idées et l'expression des capacités de chacun. Tout est une question de contexte. "
De même, le forestier peut intervenir pour aider un arbre à s'exprimer davantage : cela signifie qu'il choisit d'en enlever un pour que son voisin puisse s'écarter, s'élargir. Cette action peut être d'ordre brutal ou timoré, mais elle se fait toujours en respect des capacités de l'arbre et de ce que veut le propriétaire. L'idée : garder le cap de ce que ce dernier a en tête. En entreprise, il n'est bien sûr pas question de sacrifier des individus, mais au chef d'entreprise de faire preuve d'un certain sens du recul.
" En fonction de ses objectifs rationnels ou moins rationnels, de ses valeurs (c'est-à-dire ce qui fait echo chez lui), il peut avoir une démarche de choisir un individu qu'il pense être en accord avec sa vision. Il faut alors l'aider juste un peu pour l'amener à s'épanouir, commente Raphaël Trembleau. La concurrence ne doit pas être trop forte pour lui, mais il doit rester dans un contexte d'émulation. Il s'agit d'une vision à long terme où quelques individus, qui paraissent cruciaux pour l'avenir, puissent offrir une valeur ajoutée choisie à l'entreprise. "
Mode veille
Parfois, le forestier adapte aussi son intervention en fonction des espèces. Par exemple, dans une clairière, un chêne et un noisetier se côtoient. Ils sont encore jeunes, à peine un mètre de hauteur. Si tout semble aller pour le mieux à cet instant, dans cinq ans, le noisetier commencera à gêner le chêne. C'est en observant l'évolution des deux arbres que le forestier calibrera son intervention. À lui de rester en mode veille sur la durée. " La gestion à long terme passe notamment par la connaissance du tempérament des individus, souligne Raphaël Trembleau. Il s'agit par exemple d'aller chercher le collaborateur qu'il faut aider, sans pour autant être protectionniste tout le temps. Si le dirigeant n'agit pas, il peut rater le coche et passer à côté d'un salarié important qui aurait besoin d'être soutenu... L'envie d'un individu pour son poste peut aussi évoluer dans le temps. Il faut donc connaître l'individu au sens large, détecter ses envies au-delà de ses compétences pour pouvoir lui offrir la possibilité de changer s'il en exprime le besoin. " Autrement dit, il est nécessaire de refaire un point régulièrement pour s'assurer que le choix reste en cohérence avec sa propre vision et ses valeurs. " Le chef d'entreprise, la tête dans le guidon, peut avoir du mal à éclaircir ça. Il faut prendre le temps de lire chaque situation, insiste le forestier. Il faut cultiver ce regard et consacrer du temps ou de l'énergie à mieux connaître les individus : pourquoi avoir choisir celui-ci ? Quelle est sa motivation ? Quel sens donne-t-on derrière cette organisation ? "
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Cette dynamique d'observation peut être une véritable source d'inspiration. Prendre le temps d'analyser la situation permet aussi de devancer les aléas et d'investir sur la motivation, le potentiel des individus. La concurrence est parfois là où on l'attend pas, c'est pour cela que le forestier choisit et suit ses arbres d'avenir.