Les 4 principes clés d'une enquête interne bien menée !

La pratique des enquêtes internes connaît un fort développement depuis quelques années, suivant ainsi un mouvement amorcé dans les pays anglo-saxons. Pour autant, à l'exception de la loi Sapin II du 9 décembre 2016 relative à la protection des lanceurs d'alerte, ou du droit d'alerte réservé aux représentants du personnel « en cas d'atteinte aux droits des personnes » (article L.2312-59 du code du travail), aucun texte légal n'impose à l'employeur de mener une enquête en cas de dénonciation, par exemple, de faits de harcèlement (moral ou sexuel) ou de discrimination.
Je m'abonneLa pratique des enquêtes internes connaît un fort développement depuis quelques années, suivant ainsi un mouvement amorcé dans les pays anglo-saxons. Pour autant, à l'exception de la loi Sapin II du 9 décembre 2016 relative à la protection des lanceurs d'alerte, ou du droit d'alerte réservé aux représentants du personnel « en cas d'atteinte aux droits des personnes » (article L.2312-59 du code du travail), aucun texte légal n'impose à l'employeur de mener une enquête en cas de dénonciation, par exemple, de faits de harcèlement (moral ou sexuel) ou de discrimination.
L'obligation de réagir rapidement
En pratique, dès lors qu'il est informé de tels faits, l'employeur doit réagir vite afin d'assurer la santé et la sécurité de ses salariés. Il doit d'abord demander au salarié ayant dénoncé des agissements de les préciser, et d'apporter des éléments susceptibles de les confirmer (mails, sms, etc.).
Passé ce premier filtre qui permet d'écarter les dénonciations peu sérieuses ou farfelues, ou au contraire de prendre des mesures immédiates pour protéger la victime (mise à pied conservatoire de la personne mise en cause, dispense d'activité rémunérée ou proposition de télétravail pour séparer les protagonistes, etc.), l'objectif de l'enquête interne est de vérifier la véracité des faits dénoncés, les qualifier juridiquement et prendre, le cas échéant, les mesures appropriées.
Une méthodologie rigoureuse, inspirée de la jurisprudence
En l'absence de cadre légal, la conduite de cette enquête doit tenir compte des principes dégagés au fil de l'eau par la jurisprudence, et récemment par la Défenseure des Droits, dans sa décision-cadre du 5 février 2025.
Premier principe : l'impartialité. L'employeur doit ainsi désigner qui mènera l'enquête et quelles seront les personnes à interroger : il n'est pas forcément nécessaire d'interroger tout le service, mais le panel doit être suffisamment représentatif et équilibré (en se gardant de n'instruire qu'à charge ou à décharge). Si, dans la plupart des situations, les auditions sont menées par la Direction des Ressources Humaines, il peut s'avérer nécessaire, selon le contexte, d'associer les représentants du personnel, ou, dans les grandes entreprises, un responsable de la compliance. Dans certains cas, il peut également être décidé d'externaliser la conduite de l'enquête, en la confiant à un avocat ou à un cabinet spécialisé dans la gestion des risques psychosociaux. Cette décision peut s'avérer très utile si le rapport d'enquête doit être diffusé (en cas de contentieux),
car la technicité et la force probante d'un rapport établi par un cabinet d'avocats sont des atouts incontestables.
Qui interroger et comment ?
Autre principe incontournable dans le déroulement de l'enquête : le contradictoire. L'employeur doit entendre le salarié auteur de la dénonciation, les témoins, et bien sûr la personne mise en cause. Bien que la Cour de Cassation admette que le mis en cause ne soit pas systématiquement entendu (en particulier lorsqu'il fait ensuite l'objet d'une procédure disciplinaire, et est donc convoqué à un entretien préalable au cours duquel il pourra s'expliquer sur les éléments recueillis : Cass. Soc. 19 avril 2023, n°21-19.678), il nous paraît difficile de tenir une telle position. D'autant que l'audition de la personne mise en cause permet souvent d'identifier d'autres personnes à entendre, et que l'enquête risque d'être décrédibilisée si elle n'en tient pas compte.
En pratique, il n'est donc pas rare d'entendre deux fois la personne mise en cause : une première fois après la victime et les premiers témoins, puis après l'identification d'autres témoins et le recueil d'éléments complémentaires.
Des auditions cadrées, confidentielles et traçables
A noter que les trames d'audition doivent être soigneusement préparées, sur la base de questions ouvertes et neutres permettant à la personne interrogée de livrer sa version des faits, et pas seulement d'infirmer ou de confirmer les faits dénoncés.
Lors de l'audition, la personne interrogée n'a en principe pas le droit d'être assistée (par un représentant du personnel ou par un conseil extérieur, tel qu'un avocat), sauf lorsque l'enquête est menée par un avocat et que la personne peut se voir reprocher des agissements fautifs à l'issue de l'enquête. L'audition peut être enregistrée, sous réserve de l'accord de la personne auditionnée, et donne lieu à un compte-rendu écrit, qui lui est transmis et soumis à sa validation.
Attention, cela ne signifie pas que ce compte-rendu sera rendu public car le dernier principe incontournable de la procédure d'enquête est la confidentialité : l'employeur doit indiquer à chaque personne entendue le caractère confidentiel de l'enquête, et la possibilité qui lui est offerte de conserver l'anonymat. L'employeur devra alors interroger les autres témoins sans révéler l'identité de ou des personnes ayant souhaité conserver l'anonymat, puis établir un rapport d'enquête anonymisé. Bien entendu, le lieu des auditions doit également être choisi afin de préserver la confidentialité des échanges : mieux vaut éviter les salles de réunion vitrées visibles de tous que l'on trouve en open space.
Et après l'enquête ? Le poids du rapport
A l'issue de l'enquête, ni les comptes-rendus individuels d'audition, ni le rapport d'enquête ne sont diffusés. Ce document, qui est conservé par l'employeur, doit exposer
les faits dénoncés, les étapes de l'enquête, proposer une qualification juridique des faits et des mesures appropriées pour traiter la situation (mesures de coaching, sanctions disciplinaires, etc.).
Ce n'est qu'en cas de contentieux (en particulier si l'enquête a conduit au licenciement de la personne mise en cause) que l'employeur peut être amené à communiquer une version anonymisée et/ou synthétique du rapport. Mais il est important de conserver une version exhaustive de ce rapport qui pourrait être exigée par les magistrats ou l'inspecteur du travail (lorsque la personne mise en cause est un salarié protégé et que l'employeur sollicite de l'inspecteur l'autorisation de le licencier).
Formaliser une procédure pour éviter l'improvisation
Dernier principe : l'anticipation.
La mise en place en amont d'une procédure d'enquête interne formalisée permet de réagir rapidement et efficacement, sans improvisation, dans un contexte souvent tendu. Elle garantit aussi la conformité de l'enquête avec les attentes des juges et des autorités de contrôle.
En clair, si l'enquête interne est encore peu encadrée par la loi, elle n'en demeure pas moins une arme stratégique pour prévenir les litiges, désamorcer les tensions et protéger à la fois les salariés et l'entreprise.
Marion, avocate associée en Droit social, intervient tant en conseil qu'en contentieux, pour le compte d'une clientèle française et internationale composée de dirigeants, d'entreprises (PME et ETI) et de fonds d'investissement dans des secteurs variés tels que le prêt-à-porter de luxe, la publicité, la santé, la monétique, la technologie, etc.
Marion a débuté sa carrière au sein du cabinet d'avocats Bignon Lebray & Associés, puis elle a rejoint le cabinet d'avocats Flichy. Avant de rejoindre Yards en avril 2025, Marion exerçait en qualité d'associée au sein du cabinet Raphaël Avocats qu'elle a cofondé en 2008 (2008-2025).