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[Tribune] Oser faire des feed-back négatifs

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[Tribune] Oser faire des feed-back négatifs

Taire un feed-back négatif que l'on aurait pourtant besoin de dire à quelqu'un, c'est coopérer à la persistance du comportement de ce dernier. Pourtant, souvent, c'est le silence qui l'emporte, empêchant ainsi à la situation de s'améliorer.

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La fin d'année est souvent synonyme d'entretiens professionnels. Même quand les outils digitaux ouvrent des espaces de feed-back permanents entre managers et collaborateurs, ou entre collègues, on observe que les retours " négatifs " ont toujours beaucoup de mal à s'exprimer de façon sincère.

De même, la vie quotidienne, qu'elle soit professionnelle ou personnelle, offre en permanence des occasions de feed-back difficiles. Nos boîtes mail regorgent de demandes d'évaluation et les applications de service ne nous lâchent pas tant que le nombre d'étoiles associées à la prestation n'est pas transmis. Mettre une ou deux étoiles à un prestataire est facile derrière son écran : comment cela se vit, les yeux dans les yeux ? Comment oser des avis négatifs, d'être humain à être humain ?

Les freins à la parole libre

Écoutez les conversations dans les transports en commun, aux tables de restaurants, dans les soirées : quelle est la proportion du temps consacré aux critiques et plaintes vis-à-vis du patron, collaborateur, collègue, conjoint, parent, ami, commerçant ou prestataire ?

Les séances d'accompagnement sont très régulièrement consacrées aux griefs qu'une personne émet contre une autre, mais qu'elle est incapable de lui formuler simplement. Si l'on pouvait calculer la somme d'énergie consacrée à ces ruminations, comme un indice de pollution relationnelle, nul doute que cela donnerait à réfléchir. Qu'est-ce qui fait qu'on perd parfois si facilement ses moyens de parler et d'agir quand on est confronté à des situations qui ne conviennent pas ? Comment progresser dans cette compétence, nécessaire pour que les relations soient plus fluides et que la coopération se développe en confiance ?

4 freins majeurs

Les freins qui empêchent à la parole de prendre sa place dans les situations délicates sont de plusieurs ordres. Il y a d'abord le frein opérationnel : le souhait de ne pas déstabiliser une situation pourtant insatisfaisante. N'ayant pas d'autre solution que de faire " avec " la personne en question, on ne prend pas le risque de dire quoi que ce soit pour ne pas dégrader la situation et se retrouver avec un nouveau problème sur les bras. C'est fréquemment le cas avec des collaborateurs, mais aussi avec des commerçants ou des prestataires. Le présupposé est qu'une personne à qui l'on dit une critique se met en résistance ou en arrêt, créant alors encore plus d'embarras.

Le deuxième type de frein est de type affectif. Il relève du besoin de reconnaissance de celui qui a ce feed-back à faire : son besoin d'être apprécié est tel qu'il n'ose pas prendre le risque de déplaire à l'autre, qui pourrait alors se détourner de lui. Cela équivaut à croire que l'autre n'est pas capable d'entendre du " négatif " et qu'il va réagir de façon très affective. Autrement dit, c'est croire que les relations ne sont durables qu'en occultant ce qui fait mal.

Troisième type de frein : le frein de compétence, ou le sentiment de ne pas savoir comment dire les choses sans faire mal. La mémoire des premières critiques reçues remonte toujours à l'enfance : les parents, qu'on a forcément déçus, les instituteurs ou professeurs dont les évaluations ont pu relever parfois de l'humiliation, les moqueries des " camarades " de classe ... tout cela s'est inscrit dans nos mémoires. Émettre une critique, c'est prendre le risque de faire mal. Comment s'y prendre pour que ce soit audible ? Comment affronter les réactions émotionnelles de l'autre ? Ces compétences, on ne les a pas apprises à l'école, rarement dans nos familles. Et ne sachant comment faire, c'est l'évitement qui s'installe.

Le dernier frein, majeur, est le sentiment d'illégitimité : comment être certain que ce qu'on a à dire est légitime ? Est-ce vraiment objectif ? Est-ce qu'on n'est pas en train de faire des histoires " pour rien " ? Ces questions, combien de femmes se les posent face à des propos ambigus ? Combien de harcelés, au début du processus, les ruminent au fond de leurs nuits ? Combien de collaborateurs sont empêchés par eux-mêmes d'exprimer leur mal-être face à un manager ou un collègue ?

Comment oser plus facilement le feed-back négatif ?

On le voit, oser faire un feed-back négatif mobilise des dimensions délicates qui appellent des réponses différentes. Pour progresser, il est nécessaire d'abord d'en avoir le désir, car l'acte est engageant. Il ne s'agit pas juste de désirer faire progresser l'autre, comme on l'entend souvent dans les entreprises.

Il s'agit avant tout de savoir si l'on a envie de progresser soi-même ! Car faire une remarque " sincère " ouvre la porte aux remarques sincères de l'autre, auxquelles il faut être prêt. Deuxièmement, consentir à la subjectivité d'un feed-back est un chemin à contre-courant des années de formation aux feed-back " objectifs ". S'il s'agit juste de faire un rapport sur des chiffres, une application s'en occupe en effet très bien. Aborder les questions de comportement, c'est une histoire d'êtres humains singuliers, même lorsqu'ils partagent des chartes de valeurs ou une raison d'être ! Enfin, se former aux délicatesses de la relation humaine viendra ouvrir les voies pour créer des relations fécondes, dans lesquelles la bienveillance ne sera pas juste un mot de marketing RH.

Quelle que soit l'organisation de l'entreprise, quels que soient le nombre de baby-foots ou de moments dits de convivialité, sans des relations sincères, tout cela n'est que de l'apparence. Ce qui rend un collectif fécond, efficace durablement, c'est sa capacité à coopérer en confiance et à grandir ensemble. Un engagement qui demande constance et courage.

Pour en savoir plus

Marianne Olivier est fondatrice du cabinet Pishiki Mikana. A 20 ans, elle intègre la SNCF pour y occuper des postes de management opérationnel, fonctionnel et DRH pendant 16 ans tout en suivant en parallèle une formation de thérapeute. S'en suivent 10 années de coaching de dirigeants, avant de redevenir DRH, chez Cultura cette fois-ci. En 2018, sa découverte de la culture algonquine lui confère la conviction profonde que chacun a sa place et que la parole occupe une place centrale pour surmonter les difficultés. La même année, elle décide de fonder Pishiki Mikana.

 
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