Le droit à la déconnexion : le droit de ne pas être joignable
Quand certains sont rentrés de vacances, d'autres profitent encore des derniers jours de farniente. A condition de ne pas être sur-sollicités par emails ou SMS, ou de ne pas être tentés de regarder leurs dossiers...
Je m'abonneSe déconnecter : couper la connexion, le lien entre deux éléments, débrancher, éteindre, fermer. Déconnexion : action de déconnecter, état de ce qui est déconnecté. Ces définitions sont loin de l'univers du droit du travail et les exemples donnés par les dictionnaires font surtout référence à l'informatique (avec l'idée de terminer une session). Et pourtant, le code du Travail s'est bien approprié la déconnexion pour en faire un droit.
Le droit à la déconnexion : qu'est-ce que c'est ?
La Cour de cassation a récemment affirmé que l'obligation de rester joignable sur son téléphone portable professionnel ne suffit pas à caractériser une obligation de rester à la disposition de l'employeur. Elle ne suffit pas non plus à exclure que le salarié puisse vaquer librement à ses occupations. Ainsi, le droit à la déconnexion ou le droit ne pas ou plus être joignable est bien un droit reconnu par la loi et les tribunaux(1).
Le droit à la déconnexion a été introduit par la loi travail du 8 août 2016 : l'accord collectif relatif au forfait annuel en jours ou en heures doit prévoir des dispositions relatives à la déconnexion(2).
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L'accord collectif ou la charte relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et à la qualité de vie au travail doit prévoir " les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l'entreprise de dispositifs de régulation de l'utilisation des outils numériques, en vue d'assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale "(3).
A cette fin, l'employeur doit prendre des mesures permettant au salarié de se déconnecter.
Le ministère du Travail préconise quelques mesures :
- Consignes pour ne pas répondre aux mails ou à des appels sur son téléphone portable ;
- Dispositifs de mise en veille des serveurs informatiques en dehors des heures de travail ;
- Activation des messageries d'absence et de réorientation ;
- Détermination d'horaires fixes pour les salariés en télétravail ;
- Signature automatique indiquant le caractère non impératif d'une réponse immédiate.
Quel est le but de toutes ces mesures ? Préserver la santé du salarié en garantissant son droit au repos et préserver l'équilibre vie privée/ vie professionnelle.
Les tribunaux avaient déjà reconnu aux salariés le droit de ne pas être joignables en dehors des horaires de travail et plus particulièrement pendant le temps de pause(4).
Un droit à la déconnexion pour tous
La lecture des textes relatifs au droit à la déconnexion montre que sont plus particulièrement visés les salariés qui utilisent des outils numériques.
Le droit à la déconnexion est d'autant plus d'actualité depuis mars 2020 avec la mise en oeuvre " forcée " du télétravail ; il est d'ailleurs recommandé dans les accords de télétravail qui sont négociés de prévoir des dispositions relatives au droit à la déconnexion.
Pour autant tous les salariés ont un droit à déconnexion, c'est-à-dire un droit à ne pas être joignable.
Le droit à la santé et au repos étant des droits reconnus par l'Union Européenne et par la Constitution, tous les salariés ont un droit à ne pas être joignables pendant leur temps de repos.
Un droit à respecter par l'employeur
Pendant les périodes de repos du salarié (repos hebdomadaire, congés payés, temps de repos journalier) l'employeur ne peut pas, en principe, solliciter le salarié.
Il existe quelques exceptions à ce principe :
- l'astreinte
- les demandes de code d'accès et mot de passe afin que l'entreprise puisse continuer à fonctionner en l'absence du salarié(5).
Il est intéressant de noter que la Cour de cassation rappelle que le salarié est tenu par une obligation de loyauté à l'égard de l'employeur, obligation qui subsiste pendant les périodes de suspension du contrat de travail, et qu'en conséquence, il est tenu de fournir les codes d'accès que son employeur n'a pas d'autre moyen d'obtenir.
Le contrat s'exécutant de bonne foi, l'employeur est tenu de respecter les périodes de repos du salarié.
A défaut, il s'expose à ce que celui-ci lui réclame soit le paiement d'heures supplémentaires, soit que les jours de repos qui n'ont de fait pas été pris ne soient pas déduits du compteur de congés payés.
Bien évidemment, cela suppose que le salarié ait accepté de répondre aux sollicitations de l'employeur, car en dehors des hypothèses visées ci-dessus, le salarié ne commet aucune faute à s'abstenir de répondre aux sollicitations de son employeur.
Un droit à respecter par le salarié
Si l'employeur doit respecter le droit au repos du salarié, ce dernier ne doit pas travailler pendant ses périodes de congés.
Il est assez rare en pratique qu'un employeur sanctionne un salarié qui travaillerait trop, y compris pendant son temps de repos. Pour autant, il devra être vigilant. Il devra s'interroger sur la raison pour laquelle le salarié est amené à travailler : s'agit-il par exemple d'une surcharge de travail ?
L'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs(6).
En application de ce texte, l'employeur doit notamment contrôler la charge de travail du salarié, obligation d'ailleurs expressément prévue par la loi pour les salariés bénéficiant d'un forfait annuel en jours. Le fait pour un salarié contraint de travailler pendant son temps de repos pourrait caractériser une surcharge de travail et une carence de l'employeur dans le contrôle.
Quelle que soit la raison pour laquelle le salarié travaille pendant son temps de repos, surcharge de travail ou choix, on ne peut que conseiller à l'employeur de veiller et vérifier que le salarié bénéficie bien de son temps de repos et de son droit à la déconnexion qui va bien au-delà du fait de fermer son ordinateur.
[1] Cass. soc. 2 juin 2021 n°19-15.468 à propos des temps de pause
[2] Article L.3221-64 du Code du travail
[3] Article L.2242-17 du Code du travail
[4] Cass. soc. 17 février 2004 n°01-45.889
[5] Cass. soc. 18 mars 2003 n°01-41.343
[6] Article L.4121-1 du Code du travail