« L'IA n'est pas là pour remplacer, mais pour soulager, accélérer, compléter » Céline Merle Beral (Vivendi & Havas)

Céline Merle Béral, Directrice de la Stratégie des Ressources Humaines et de la Culture d'Entreprise chez Vivendi, et Global Chief HR Officer de Havas, partage son regard sur les défis RH d'aujourd'hui. Télétravail, management, engagement des jeunes, prévention des risques : un partage précieux pour les dirigeants de PME.
Je m'abonneCommençons par un enjeu majeur : comment fidéliser les jeunes talents dans un monde où tout s'accélère ?
Il faut arrêter de parler de rétention, et commencer à parler d'engagement. Retenir, c'est subir et attendre que quelqu'un veuille partir pour réagir. Engager, c'est créer les conditions dès le départ et être proactif pour donner envie de rester. Concrètement ? Multiplier les feedbacks, adapter les cycles de reconnaissance, raccourcir les délais entre effort et récompense. Et surtout, former les managers intermédiaires, ces fameux "maillons faibles" oubliés, alors qu'ils sont essentiels au climat de travail.
Vous dites souvent que tolérer un manager toxique peut coûter plus cher que de s'en séparer. Comment en prendre conscience ?
C'est l'un des pièges les plus fréquents. On garde quelqu'un de performant sur le papier, mais qui sape l'énergie collective. Dans une PME, cet impact est décuplé. Je prends souvent l'exemple de Didier Deschamps, qui a écarté Benzema juste avant la Coupe du monde, malgré son immense talent. Il a privilégié la cohésion à la performance individuelle. Résultat : la France a gagné. Dans l'entreprise aussi, la toxicité d'un manager peut étouffer tout un collectif. Il faut oser dire stop.
Vous avez une approche très pragmatique de la diversité. Comment la traduire en actes ?
Par le dialogue. On ne construit pas une culture inclusive à coups de slogans, mais en apprenant à se dire les choses. Je me souviens d'une jeune collaboratrice qui avait été interpellée en réunion par un "ladies first". Elle l'a vécu comme une forme de condescendance. Le manager ne comprenait pas. Alors je lui ai posé une question simple : "Si tu avais dit black first, comment cela aurait été perçu ?". Et là, il a compris. La clé, c'est l'écoute, l'explication mutuelle et l'humilité intergénérationnelle.
La place des seniors revient régulièrement dans l'actualité RH. Quelle est votre position ?
Il faut sortir de l'idée que les seniors coûtent plus cher. Ce qu'ils apportent est irremplaçable : mémoire, stabilité, capacité à transmettre. Mais attention : pour qu'un senior reste pertinent, il doit rester en mouvement. Cela suppose de repenser la formation : adapter les formats, respecter les rythmes, accompagner l'appropriation de nouveaux outils comme l'IA. C'est à l'employeur d'anticiper les évolutions, pas au collaborateur de deviner.
En parlant d'anticipation : le télétravail reste un sujet brûlant. Quelle organisation recommandez-vous ?
Chez nous, c'est simple : trois jours sur site, deux jours à distance. C'est un équilibre qui préserve la performance tout en maintenant le lien. Avec un taux d'occupation équilibré tous les jours.. Une entreprise n'est pas une constellation de freelances. Le collectif ne se construit pas que sur Teams. Sans moments informels, sans culture partagée, on ubérise la relation de travail - et on finit par perdre le sens même de l'organisation.
Comment un dirigeant de PME peut-il détecter les signaux faibles, notamment en matière de santé mentale ?
Même avec peu de moyens, il y a beaucoup à faire. Des enquêtes anonymes, un référent RH, une ligne d'écoute extérieure : ce sont des dispositifs simples à mettre en place. Mais la première clé, c'est l'exemplarité, l'accessibilité et la confiance en son dirigeant. Parler ouvertement du sujet, montrer qu'on agit sans stigmatiser, rappeler que l'on peut être en difficulté sans être en faute. Et surtout, ne pas laisser le sujet invisible. Si la direction ne le nomme pas, personne ne le fera.
L'intelligence artificielle bouleverse déjà les pratiques RH. Comment accompagner son intégration dans les équipes ?
D'abord en arrêtant de faire peur. L'IA n'est pas là pour remplacer, mais pour soulager, accélérer, compléter. Le vrai enjeu, c'est l'appropriation. Chez nous, on a commencé par former tout le monde : qu'est-ce qu'un prompt, à quoi ça sert, comment l'utiliser ? Ensuite, on a intégré l'IA dans les process existants, pas en dehors. Même dans une PME, on peut avancer. Il existe des outils simples, gratuits, accessibles. Le plus important, c'est de créer une culture d'expérimentation bienveillante : chacun peut tester, proposer, apprendre. Et surtout : l'IA ne remplace pas le lien humain, le management, la culture d'entreprise. Elle les renforce... si on l'utilise à bon escient.
Est-il utile d'investir dans la data RH dans une structure de 50 à 100 salariés ?
La question n'est pas "quelle data avoir ?", mais "quel problème voulez-vous résoudre ?". Si vous avez un fort turnover, commencez par comprendre les départs. Si vous avez un doute sur l'ambiance, lancez un baromètre interne. Et si vous n'avez pas les moyens ? Regroupez-vous. Les fédérations, syndicats, branches professionnelles mutualisent souvent des outils ou des études. Et cela suffit largement à guider l'action RH dans une PME.
Quel message adresser aux patrons de PME ?
Les grandes structures envient souvent les PME pour leur capacité à agir sans attendre. Alors osez. Osez écouter autrement, manager différemment, expérimenter sans complexe. Osez faire confiance à votre bon sens et à votre proximité. Parce que le plus puissant des leviers RH, ce n'est pas un budget, c'est une conviction : celle que les gens comptent. Et que quand on en prend soin, tout le reste suit
Une culture forte n'a pas besoin de budget démesuré, seulement d'alignement entre ce que vous dites... et ce que vous faites.
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