[Tribune]La stratégie doit-elle venir du sommet ou de la base de l'entreprise ?
Dans quelle mesure une entreprise doit-elle opter pour une approche centralisée ou décentralisée de la stratégie ? Les deux approches peuvent-elles être réconciliées ? Le point avec Jérôme Barthélemy, professeur de stratégie et management à l'ESSEC.
Je m'abonneApproche centralisée vs approche décentralisée de la stratégie
On distingue souvent deux approches de la stratégie. Dans l'approche centralisée (appelée également " planification stratégique "), la stratégie provient quasi-exclusivement du sommet de l'entreprise. Les dirigeants s'accordent sur une mission, formulent une vision et fixent des objectifs. Ils s'assurent également que ces objectifs seront atteints. Dans l'approche décentralisée, la stratégie provient en grande partie de la base de l'entreprise. Dans certains cas, les managers sont impliqués dans les décisions stratégiques (" participation aux décisions "). Ils influencent donc directement la stratégie. Dans d'autres cas, ils sont autorisés à prendre des initiatives sans en référer aux dirigeants (" distribution du pouvoir de décision ") ... ce qui finit également par influencer la stratégie.
Quelle est la meilleure approche ?
Pour répondre à cette question, Torben Juul Andersen a étudié un échantillon de 185 entreprises industrielles américaines. Il s'est d'abord intéressé aux effets indépendants de la planification stratégique, de la participation aux décisions et de la distribution du pouvoir de décision sur la performance. Les résultats montrent que la mise en oeuvre de mécanismes de planification stratégique permet d'améliorer sensiblement la performance. En revanche, aucune des deux approches décentralisées n'a d'influence sur la performance. Comme les trois approches ne sont pas exclusives, il s'est également intéressé à leur influence conjointe. Les résultats indiquent que la combinaison " distribution du pouvoir de décision " et " planification stratégique " améliore la performance. A l'inverse, la combinaison " participation aux décisions " et " planification stratégique " diminue la performance ...En d'autres termes, les dirigeants doivent toujours fixer le cap. S'il est contre-productif d'impliquer les managers dans la formulation de la stratégie, il faut leur donner une grande autonomie par la suite.
L'influence de la vitesse d'évolution de l'environnement
L'étude s'intéresse également à l'influence conjointe des trois approches et de la vitesse d'évolution de l'environnement. Les résultats montrent que plus l'environnement évolue rapidement, plus il est bénéfique pour une entreprise de mettre en place des mécanismes de planification stratégique. Ce résultat n'est pas intuitif ... On pense généralement que plus il y a d'incertitude, moins il est nécessaire de fixer un cap. Il semble cependant que ce soit le contraire ! Les résultats indiquent également que plus l'environnement évolue rapidement, plus il est intéressant de laisser de l'autonomie aux managers. L'explication est simple : ils sont mieux placés que les dirigeants pour percevoir les évolutions du marché ...
En résumé, les stratégies des entreprises les plus performantes viennent du sommet et de la base des entreprises. Elles ont été formulées par les dirigeants ... mais elles laissent suffisamment d'autonomie aux managers. Cette autonomie " contrainte " est d'autant plus bénéfique que l'environnement évolue rapidement.
Diplômé de l'ESSEC et titulaire d'un doctorat HEC en sciences de gestion, Jérôme Barthélemy est professeur de stratégie et management à l'ESSEC.
Auteur de Stratégies d'externalisation (2007, Dunod) et coauteur de Strategor (2013, Dunod), il travaille actuellement sur un projet intitulé " Mieux connaître la recherche en management ". L'objectif de ce blog est de " traduire " le meilleur de la recherche en management (publiée dans des revues académiques difficilement accessibles et lisibles ...) pour favoriser sa diffusion dans le monde de l'entreprise.