Jérôme Fillol : une reconversion musclée entamée sur le terrain

Sa joie de vivre, son accent à couper au couteau, mais aussi sa grande rigueur font de Jérôme Fillol un entrepreneur ambitieux et hors norme. Quintuple champion de France avec le Stade Toulousain et le Stade Français, l'ex-demi de mêlée de 45 ans s'est reconverti en 2018 dans la restauration, après avoir passé près de vingt ans sur les terrains de haut niveau.

L'ancien rugbyman, natif d'Agen, est à la tête de deux franchises appartenant au groupe Bertrand (Hippotamus, Au Bureau, Léon), implantées à Villenave-d'Ornon, à côté de Bordeaux. « À mon poste de demi de mêlée, j'ai été amené à gérer une équipe, à mener la danse, à définir la stratégie, à prendre des décisions pas toujours simples. Mes carrières sont complémentaires », explique Jérôme Fillol.

Un moral d'acier

Deux ans après avoir ouvert la franchise de restauration Au Bureau et la Belle saison, une adresse courue sur les bords de la rive droite de la Garonne qu'il a revendue en 2022, il doit gérer un premier coup de feu. « La crise sanitaire a été une période angoissante et stressante. Nous devons vivre au jour le jour, adopter un mental combatif et se mettre en mode joueur blessé comme j'ai pu l'être pendant un an, lorsque je me suis fracturé la jambe en 2000 contre les All Blacks », relate le sportif.

Sa carrière auréolée de moments de gloire - lorsqu'il a été champion de France en 1999 avec le Stade Toulousain, ou lorsqu'il a décroché en 2015, l'année où il a raccroché ses crampons, le titre champion de France et soulevé pour la dernière fois le bouclier de Brennus -, mais aussi de coups durs, de défaites et de moments de doute lui ont appris à transformer des situations compliquées et lui ont donné le goût des efforts acharnés.

En décembre 2022, en pleine poussée inflationniste et face à l'explosion des coûts de l'énergie et des matières premières, il ouvre une nouvelle franchise de restauration, la trattoria Volfoni. Un mental d'acier qui lui permet de travailler plus de dix heures par jour et de ne pas perdre ses moyens. « J'ai une capacité à absorber les coups et les chocs. Nous avons dégradé nos marges. Nos trésoreries sont amoindries, mais nous sommes contraints de serrer les dents et de ne pas répercuter sur nos clients des prix identiques à la hausse que nous subissons sur nos achats », reconnaît Jérôme Fillol, qui emploie au total 50 salariés.

Les valeurs du collectif

Sa réussite entrepreneuriale ne fonctionnerait pas aussi efficacement si elle ne se mêlait pas à la sincérité du fondateur, aussi engagé et "collectif" en cuisine ou en salle qu'il l'était jadis sur les terrains de rugby. Un bon manager doit, selon lui, donner à chacun les moyens de briller, de faire avancer ses équipes, de les pousser à devenir responsables et autonomes. « Quand j'ai commencé le rugby, j'avais 17 ans. Le sport a évolué, la manière de manager les sportifs aussi. Lorsque nous passons 11 mois à s'entraîner la semaine et à jouer les week-ends, les saisons sont plus ou moins longues. Il y a des périodes où nous sommes moins motivés, plus fatigués. D'où l'importance de fédérer les équipes, d'arriver à leur parler, à se remettre en question », concède Jérôme Fillol.

Pour renforcer la cohésion et donner à ses collaborateurs l'envie de se surpasser, le rugbyman organise des stages de team building, des journées entières où les salariés des deux établissements peuvent se régénérer, s'adonner à des activités ludiques, des concours. Cela lui permet de découvrir les points forts et les faiblesses de chacun, de voir l'état d'esprit du personnel. « Des attitudes que l'on ne voit pas toujours en salle ou en cuisine », explique l'entrepreneur, aujourd'hui installé avec sa femme et ses enfants à Biarritz dans le Pays basque.

Pour fédérer ses équipes, Jérôme Fillol applique une autre recette. Il laisse, après les avoir formés et accompagnés, une quasi-totale autonomie au directeur et au chef de cuisine de chaque restaurant. « Ce sont eux qui sont dans l'exploitation. Je ne peux pas jouer à leur place, mais j'organise des débriefings quand on a gagné et quand on a perdu, quand on a été bons, et moins bons, ajoute l'entrepreneur, qui se déplace dans la région bordelaise deux à trois jours par semaine. La fidélisation des talents est sans doute la plus grande difficulté de mon métier d'entrepreneur. Il faut trouver les mots justes, s'adapter, se remettre en question et reconnaître les efforts de ses collaborateurs ».

Avoir un coup d'avance

Petit-fils de Guy Basquet, cofondateur du club de rugby les Barbarians, il n'a pas attendu le dernier coup de sifflet pour penser à sa reconversion. En 2008, l'ancien consultant de Canal+ et homme de terrain a ouvert avec sa femme et cinq amis associés le Mil'a, un bar à tapas du Sud-Ouest, situé dans le 1er arrondissement de Paris, à quelques encablures du musée du Louvre et des Halles.

« J'ai toujours aimé la gastronomie et voulu ouvrir une adresse qui colle à mes racines du Sud-Ouest. J'étais encore au Stade Français, mais j'avais à l'époque envie de préparer très tôt ma reconversion. Je savais que des blessures pouvaient arriver et que tout pouvait s'arrêter du jour au lendemain », indique l'entrepreneur, détenteur d'un BTS action commerciale.

Projets

Un sportif tout comme un entrepreneur doit toujours avoir un coup d'avance. « Je m'ennuie si je n'ai pas de projet à court et moyen terme. Le métier de restaurateur est tout aussi passionnant qu'engageant. C'est une remise en question perpétuelle, des challenges importants à relever. Vu la conjoncture, je préfère regarder ce que j'ai entrepris, stabiliser mes affaires avant de créer de nouveaux business. » Le génie du ballon ovale s'est lancé en 2022 un nouveau challenge, celui d'aider les joueurs à préparer au mieux leur reconversion, à bien appréhender leur fin de carrière, que ce soit sur le plan financier ou professionnel.