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Thierry Marx : "Je suis un rêveur"

Publié par Julien van der Feer le - mis à jour à
Thierry Marx : 'Je suis un rêveur'

Plus connu pour son franc-parler et sa tenue de chef étoilé, Thierry Marx n'en est pas moins un entrepreneur chevronné. Parti de rien, il manage désormais 450 collaborateurs situés en France, aux États-Unis et au Japon.

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Le grand public vous connaît peu comme entrepreneur à succès. Pourquoi ?

Qui aurait prédit, il y a 40 ans, que je devienne un chef d'entreprise ? Pas grand monde. Il faut dire que je suis devenu entrepreneur sur le tard. On ne prête pas d'argent aux personnes qui ont mon extraction sociale, c'est-à-dire qui viennent de banlieue. Je n'avais pas de réseau et il fallait du temps pour le construire.

C'est ce que j'ai fait pendant toute ma carrière. À 25 ans, je n'avais pas un rond. Je suis d'abord devenu un bon artisan et j'ai eu mon émancipation économique à 40 ans. C'est normal, maintenant que j'en ai 50, que cette image de chef d'entreprise ressorte.

Vous parlez souvent de vos origines sociales...

C'est vrai. Quand nous sommes jeunes, nous pensons que nous sommes assignés à notre quartier, à notre extraction. Nous avons du mal à croire que les choses peuvent changer. C'est une faiblesse qui nous piège. La raison ? Nous nous disons : "c'est déjà bien d'avoir ça " . Donc, nous n'osons pas.

Quelle est votre définition du chef d'entreprise ?

C'est une personne qui a un projet. Ce n'est pas plus compliqué que ça. La dénomination de patron ne veut rien dire.

Pouvez-vous nous donner quelques chiffres sur la galaxie Thierry Marx ?

Je manage environ 450 salariés de 45 nationalités différentes. Je n'aime pas parler en nombre de restaurants, mais en unité de production. Aujourd'hui, je suis présent dans l'univers de la boulangerie et de la pâtisserie boulangère. Je fais du conseil avec notre agence de recherche et développement. Je suis présent aux États-Unis, à Miami et New York, ainsi qu'à Tokyo, Iwate et bientôt Shibuya au Japon.

Vous venez également d'ouvrir Marxito en octobre à Paris...

C'est un établissement de street food. Ce n'est pas un fast-food de luxe, mais plutôt un fast-food bien sourcé avec une entrée de prix acceptable pour des personnes qui veulent bien manger avec leurs titres restaurant (NDLR : le menu est compris entre 15 et 17 euros).

N'est-ce pas étrange de voir un chef étoilé débarquer sur le secteur du fast-food ?

Oui, mais la magie de la gastronomie française est de pouvoir se diversifier. Je suis moi-même un homme de la diversité. Je ne considère pas que la gastronomie se cantonne à un univers étoilé et très cher. Elle commence par une baguette de pain à 1,20 euro. En dessous, ça n'a pas de sens. Il ne faut pas assigner la gastronomie à un niveau social.

C'est une forme de décloisonnement ?

Tout à fait. À 50 ans, je me suis demandé : "pourquoi je n'aurais pas droit de faire un sandwich ou un kebab ? " . Plein de choses m'intéressent. Je pense aussi à la nourriture des sportifs avec la lyophilisation. Je ne veux rien m'interdire. Tout est possible.


Vous vous développez tout de même sur un secteur très concurrentiel...

J'aime bien aller dans les univers où il y a de l'opposition. S'il y a des oppositions, il y a des opportunités de business et vous pouvez faire bouger les lignes. Je propose des produits autrement, sur un secteur qui pensait que ce n'était pas possible .

Une forte concurrence est donc bénéfique ?

Oui, si vous arrivez à identifier les signaux faibles. Par exemple, peu de personnes ont pensé à faire des sandwichs à la minute devant les clients. Souvent, c'est préfabriqué et pas cher. Vous pouvez vendre beaucoup de produits de cette façon, mais ça nourrit mal les personnes. La modernité, c'est de voir les ingrédients utilisés dans le produit.

De plus, je pense qu'une entreprise doit être capable de mesurer son impact social et environnemental. Personnellement, j'ai beaucoup développé la formation professionnelle de mes équipes. Je crois en eux et je les fais monter en compétences.

Existe-t-il une dichotomie entre la formation des jeunes et le besoin réel des entreprises ?

Dans un futur proche, l'école ne nous fournira peut-être plus la ressource métier. Il faut que le monde de l'entreprise s'implique dans la formation professionnelle. Aujourd'hui, j'ai des collaborateurs qui sont montés en compétence sans être diplômés d'une grande école. D'autres qui sont passés par des écoles de commerce.

Dans les deux cas, je suis très satisfait. Ce n'est pas la confrontation de ces deux mondes qui m'intéresse, mais leur mariage qui crée une dynamique forte .

L'entreprise doit former les jeunes ?

L'entreprise doit former les personnes éloignées de l'emploi, pour ne laisser personne sur le bord de la route. Sans projet, les hommes et les femmes de nos quartiers risquent de suivre le premier gourou qui passe. Il faut un projet professionnel pour relever la tête.

Cela passe par l'école, qui permet d'apprendre pour faire, ou par l'apprentissage, qui permet de faire pour apprendre. Et qui mérite d'être plus reconnu en France.


Quel est votre rapport à l'ambition ?

Notre environnement judéo-chrétien et laïque nous impose de ne pas avoir d'ambition, ce qui est la pire des choses. L'ambition n'est pas malsaine. Là où j'ai grandi, dès que quelqu'un voulait monter sa boîte, il allait forcément devenir un salaud de patron. C'est un mal français.

Vous recherchez des collaborateurs ambitieux ?

Oui. Quand je recrute quelqu'un, je lui pose deux questions : "Pourquoi voulez-vous travailler pour moi ? " et "vous vous voyez où dans deux ans ? " La seconde question paralyse souvent les candidats. Être ambitieux n'est pas un manque d'humilité. Au contraire, j'ai besoin qu'une personne soit ambitieuse, qu'elle se voit à ma place, pour tisser un lien de confiance.

C'est-à-dire ?

Je fais régulièrement des tête-à-tête avec mes collaborateurs. Nous revenons sur leurs missions et les objectifs fixés. J'essaye de les comprendre et de les aider quand nous ne sommes pas aux résultats attendus. Ensuite, je leur demande où ils en sont dans leur projet pour prendre ma place. Et comment je peux les aider pour y arriver.

En faisant progresser les personnes, vous créez ce lien invisible de fraternité. Si vous pensez que la simple rémunération crée de la confiance, vous vous trompez. Elle ne sera pas suffisante s'il n'y a pas, à côté, la montée en compétences du collaborateur.

Pourquoi êtes-vous subjugué par la libellule ?

C'est ce que j'explique dans mon ouvrage La stratégie de la libellule , publié au Cherche Midi. C'est un insecte extraordinaire qui s'extrait d'une mare, un milieu extrêmement dur. Elle monte sur un roseau pour devenir un papillon merveilleux. Elle vit pleinement au présent et, dès qu'elle rencontre une difficulté, elle va à droite ou à gauche, change d'axe, mais ne recule jamais, sauf pour se reproduire et mourir.

Elle est aussi capable d'anticiper de nombreux signaux faibles pour attraper sa proie. Finalement, un chef d'entreprise, c'est exactement cela.

Comment gérez-vous tous vos projets ?

Ma gestion du planning est ultra-rigoureuse. Je me lève très tôt pour faire du sport. Je ne suis pas le genre de type qui consacre 4 heures à une réunion. Par exemple, un e-mail de plus de 15 lignes n'est pas recevable. Tout comme une prise de parole de plus de 7 minutes. Cela signifie que le collaborateur n'a pas travaillé son sujet.

Enfin, je ne fais jamais de réunion de plus de 50 minutes, sauf si elle est très productive. Je ne laisse personne tirer des chèques en blanc sur mon temps, car le temps est un cadeau. C'est ce que j'ai appris au Japon .

Vous déléguez ?

Oui, bien sûr. Mais je considère qu'autonomie n'est pas indépendance. Un collaborateur n'est pas libre de ses actes. Il peut prendre des décisions dans une chaîne de décision assez courte, mais il doit en référer. Un bon collaborateur, c'est quelqu'un qui fait beaucoup de feedback courts et efficaces. Déléguer sans contrôler, c'est de l'abandon de pouvoir et c'est très dangereux.

Comment vous entourez-vous ?

Trois profils sont essentiels dans l'entreprise. Le binôme important, c'est comptable/vendeur. Moi, je suis le rêveur. Mais il faut mettre des chiffres sur vos rêves. Et le vendeur vous dira s'il y a des opportunités de marché. Ensuite, j'étends mon board avec les ressources humaines et les ressources métiers.

Il faut toujours avoir des rêves fous et avoir des personnes qui mettent des chiffres dessus. Moi, je vends de l'émotion. Je donne de la mémoire à de l'éphémère.

Pourquoi cet amour pour le Japon ?

J'y vais tous les deux mois. J'aime l'homogénéité de ce peuple, l'architecture des temples, le dessin, le judo que je pratique et l'escrime au sabre. Mais ce qui me fascine le plus, c'est qu'il n'y a pas de conflit entre tradition et innovation. Ils ne sont pas arque-boutés à défendre les choses du passé.

Par ailleurs, j'aime les artisans japonais car ils ne laissent rien au hasard. Ils ont une rigueur industrielle. Ce sont les Japonais qui m'ont fait progresser.

Bio

1959 : Naissance à Paris, à Ménilmontant (XXe).

1999 : Obtient deux étoiles au Guide Michelin au Château de Cordeillan-Bages.

2006 : Élu Chef de l'Année par Gault Millau et le magazine Le Chef .

2011 : Devient " Chef Exécutif & Directeur de la Restauration " au Mandarin Oriental, Paris (où il officie toujours).

2012 : Il ouvre sa première école Cuisine Mode d'Emploi(s), à Paris (XXe).

2016 : Réalise un rêve d'enfant en ouvrant sa première boulangerie à Paris. Il s'associe au boulanger Joël Defives, Meilleur Ouvrier de France (MOF).

2018 : Lance Marxito, un fast food bio à Paris.

 
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