Christophe Alunette : "Ce livre, je l'ai écrit pour alerter et transmettre, pas pour raconter ma légende personnelle"

À 43 ans, Christophe Aulnette quitte son poste de président de Microsoft France pour se réinventer. Dans Le jour où j'ai quitté Bill Gates, il revient sur ce choix radical, entre quête de sens, vertige de la liberté et reconversion. Un témoignage sincère et utile pour repenser la deuxième partie de carrière.
Je m'abonneDans votre livre, vous racontez un départ que beaucoup jugeraient incompréhensible. Qu'est-ce qui vous a poussé à quitter Microsoft au sommet de votre carrière ?
Je dirigeais Microsoft France, ce qui, pour moi, était un job de rêve. Mais au fil du temps, je me suis rendu compte que je n'étais plus vraiment aux commandes. J'étais devenu un excellent exécutant dans une machine trop bien huilée. Je voulais retrouver de l'impact, sentir que mes décisions faisaient une différence. À 43 ans, je me suis dit : si je ne saute pas maintenant, je ne le ferai jamais.
Vous parlez d'un besoin de "reprendre le gouvernail". Ce sentiment est-il fréquent chez les cadres de votre génération ?
Oui, et il l'est de plus en plus. Nous sommes nombreux à avoir été de "bons élèves" : grandes écoles, grandes boîtes, belles carrières... Mais au fond, peu d'entre nous avons vraiment choisi. Un jour, on se réveille en haut de l'échelle - et on se demande si elle était posée contre le bon mur. Mon livre parle aussi de ça : de cette envie d'autonomie, de sens, d'alignement.
Vous décrivez aussi très honnêtement la "chute" après votre départ. Pourquoi avoir choisi de vous livrer avec autant de franchise ?
Parce que c'est la réalité. J'aurais pu écrire un livre de storytelling inspirant en mode "je suis parti, j'ai monté une boîte, et tout a marché". Mais ce n'est pas ce que j'ai vécu. J'ai connu le doute, la solitude, la perte de repères, le stress financier. Je voulais alerter sur cette impréparation quasi générale des cadres dirigeants face au "monde d'après".
Vous parlez souvent d'"ikigai". Ce mot japonais semble aujourd'hui presque à la mode...
C'est vrai, mais pour moi, ce n'est pas un gadget de développement personnel. L'ikigai, c'est cette zone d'équilibre entre ce qu'on aime faire, ce pour quoi on est doué, ce qui a du sens et ce pour quoi on peut être payé. Ce n'est pas une destination figée, c'est un cap. Et plus on s'en approche, plus on retrouve de l'élan. Dans mon cas, j'ai trouvé mon ikigai en reprenant une PME que j'ai développée à l'international. Je ne voulais plus être l'officier d'un paquebot, mais le capitaine de mon propre navire. Aujourd'hui, je m'exprime autrement, via le conseil, l'investissement, l'accompagnement d'entrepreneurs.
Vous dites que ce livre est aussi un guide pour éviter les erreurs que vous avez commises. Que conseillez-vous aux cadres de plus de 45 ans qui se posent des questions ?
D'anticiper. De ne pas attendre le "mur". De travailler leur employabilité bien avant d'en avoir besoin. De ne pas se laisser enfermer dans une cage dorée. Et surtout, de cultiver leur réseau. Le jour où on quitte un grand groupe, on perd son titre, son logo, et parfois son utilité sociale. C'est brutal si on n'a rien construit en dehors.
Vous êtes très critique sur le regard porté en France sur les seniors. Vous en faites un sujet presque politique...
Oui, parce qu'il l'est. Aujourd'hui, des gens brillants de 55 ans sont considérés comme "trop vieux" alors qu'ils ont 15 ou 20 ans de carrière devant eux. C'est un gâchis immense, humainement et économiquement. Dans les pays nordiques, le taux d'emploi des plus de 55 ans est bien supérieur au nôtre. Il faut sortir du "CDI ou retraite" et imaginer des modèles hybrides, plus souples, plus inclusifs.
Et les entreprises ? Que devraient-elles changer selon vous ?
Cesser de promettre une carrière linéaire, et plutôt accompagner les collaborateurs à construire leur propre projet. L'entreprise n'est plus un lieu de fidélité à vie, elle doit devenir une étape formatrice. Ce changement de paradigme est essentiel pour que les talents restent engagés et que les reconversions deviennent des tremplins plutôt que des traumatismes.
Dernière question, quel a été le chapitre le plus difficile à écrire ?
Probablement celui où je raconte la chute, juste après mon départ de Microsoft. J'étais groggy, comme un boxeur sonné. Il a fallu que je me livre sur mes doutes, mon stress, ce sentiment de vide. Ce n'est pas simple d'écrire ces choses-là, surtout quand on a eu des postes exposés. Mais c'est ce qui rend le témoignage utile, je crois. Beaucoup de lecteurs m'écrivent pour me dire qu'ils s'y sont reconnus. Finalement, ce sont nos fragilités partagées qui créent le lien.
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