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Bruno Le Maire : "Dirigeants, révoltez-vous !"

Publié par Eloïse COHEN le - mis à jour à
Bruno Le Maire : 'Dirigeants, révoltez-vous !'

Député de l'Eure, Bruno Le Maire prône des réformes radicales pour simplifier la vie des entrepreneurs. L'ancien ministre de l'Agriculture plaide en faveur d'une simplification drastique du droit du travail et une réforme de la fiscalité.

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Chef d'Entreprise : Comment qualifierez-vous le tissu industriel et entrepreneurial français ?

Bruno Le Maire : Enthousiasmant et fragile. Enthousiasmant car partout où je me déplace, en France, je rencontre des entrepreneurs qui se battent pour développer leur activité et qui font leur maximum pour garder leurs emplois, y compris dans des zones géographiques difficiles. Je pense par exemple à l'activité de décolletage dans la vallée de l'Arve, où l'esprit d'entreprise et d'innovation est tout à fait exceptionnel. Je pense à la Cosmetic Valley, aux pôles d'excellence ruraux, au fablab Ici Montreuil : la France regorge de ressources.
Ce qui est également enthousiasmant, c'est la volonté d'entreprendre des Français et notamment des plus jeunes : 550 000 entreprises créées chaque année, dont la moitié sous le statut d'autoentrepreneur.
Ce qui est enthousiasmant encore, c'est notre capacité à innover dans de nombreux domaines, notamment écologiques.
Pour autant, il est fragile. Et je le dis avec beaucoup de gravité. Nous sommes maintenant au pied du mur. Il y a désormais urgence à prendre des mesures radicales pour permettre à notre tissu industriel et entrepreneurial de survivre, mais surtout de se développer, de croître et donc de créer des emplois.

Quelles sont ces mesures radicales ?

Je rappelle que 85 % des embauches dans notre pays se font dans les entreprises de moins de 250 salariés. Les créateurs d'emplois, ce sont les entrepreneurs, pas l'État ! Face au mur de contraintes, de taxes, de charges et de décisions difficiles à prendre, les entrepreneurs sont souvent seuls. Je veux être à leurs côtés et les aider à entreprendre dans un environnement sain. Il faut changer l'esprit qui règne dans l'administration et une partie de la classe politique vis-à-vis des entrepreneurs. C'est une vraie révolution que je veux mener dans ce domaine.

D'autre part, depuis une quarantaine d'années, la voix de la France sur l'échiquier mondial et européen s'est affaiblie du fait de l'érosion de notre potentiel économique et de notre tissu industriel, elle doit être rétablie. Or, il n'y aura pas de puissance ni nationale ni politique sans puissance économique !

"Il n'y aura pas de puissance ni nationale ni politique sans puissance économique !"

Concrètement, quelles mesures proposez-vous?

Le premier problème des TPE et PME françaises, c'est la complexité et la lourdeur administratives auxquelles elles sont confrontées. Combien j'ai vu de chefs d'entreprises qui font tout pour ne pas dépasser les 10 ou les 50 salariés ! L'un d'eux, basé aux mines de Nantes, me confiait qu'il pourrait sans problème passer de 49 à 60 collaborateurs, mais qu'il ne le fera jamais. Pourquoi ? Pour ne pas avoir à gérer toutes les obligations liées, notamment, au comité d'entreprise et au CHSCT. IL faut rehausser les seuils sociaux pour réduire les obligations légales des entrepreneurs.

Le Code du travail doit également être drastiquement simplifié. Depuis plusieurs mois, je propose de le recentrer, en 150 pages, autour de l'ordre public social. Tout le reste doit être laissé à la négociation d'entreprise et prévaloir sur les dispositions législatives.

En 2005, j'ai mis en place, avec Dominique de Villepin, le Contrat Nouvelle Embauche, qui permettait notamment de se séparer plus facilement de son salarié. Et il a remarquablement bien marché, avant de se heurter à une convention de l'organisation mondiale du travail. C'est dans ce sens que nous devons aller en proposant, de nouveau, un contrat de travail plus souple, plus simple et plus lisible. Et ceci afin d'éviter que les dirigeants se retrouvent, à chaque licenciement, systématiquement devant les Prud'hommes.

Justement, le gouvernement planche sur une vaste réforme du droit du travail. Êtes-vous optimiste sur son issue ?

Je ne me fais aucune illusion : ça ne donnera rien. Pourquoi ? Car le Chef de l'État a présumé de la fin de la négociation en excluant tous les points capitaux pour les chefs d'entreprise, dont le contrat de travail. Faire une simplification du droit du travail sans remettre en question ce dernier, c'est comme élaguer un arbre sans toucher les bourgeons. Ça ne sert absolument à rien !

D'autant que la méthode n'est pas bonne. Si vous voulez vraiment changer les choses, il faut renverser la hiérarchie des normes : l'accord en entreprise doit primer sur la loi car il est nécessairement plus proche de la réalité de l'entreprise.

C'est ce qu'ont pourtant préconisé les rapports Combrexelle et de Terra Nova sur lesquels doit pourtant se fonder la réforme...

Mais ce n'est pas ce qu'a dit François Hollande ! Dans ce cas-là, à quoi ça sert d'annoncer une réforme ? C'est grotesque. Cela fera partie des déceptions que laissera le pouvoir socialiste en place qui promet beaucoup et qui tient très peu.

Concernant les syndicats et les représentants du personnel, je souhaite que le 1er tour des élections professionnelles soit ouvert à l'ensemble du personnel et qu'il ne soit plus réservé aux seuls syndicats dits représentatifs. La loi de 2008 n'a changé la situation qu'en apparence. Car pour se présenter, le salarié doit avoir créé, deux ans auparavant, son propre syndicat. Il est donc évident qu'aucun salarié ne se présente jamais. Cette disposition législative est une illustration parfaite du drame français : traiter les problèmes en trompe-l'oeil, et non en profondeur.

Le second grand sujet est celui de l'inspection du travail, qui doit se concentrer sur les fraudes et les délits et ne plus intervenir tous azimuts. Et comme un inspecteur du travail, dont le rôle est primordial pour la protection des salariés, peut néanmoins se tromper, il est important de prévoir, pour les chefs d'entreprise, un recours plus rapide et impartial.

Que pensez-vous des réductions d'impôts aux entreprises de 33 milliards d'euros prévues pour 2016 via le CICE et le Pacte de responsabilité et de solidarité ?

Je reconnais volontiers que le CICE a amélioré la condition de nombre d'entrepreneurs. Mais ce dispositif reste trop complexe pour les plus petites structures et pose souvent des problèmes de trésorerie. Je lui préfère donc des baisses de charges immédiates sur les salaires.

Pour l'heure, les incitations fiscales sont très centrées sur l'innovation. Est-ce, selon vous, une erreur ?

Non. Il ne faut surtout pas toucher au CIR, dispositif très efficace qui est un élément clef de la compétitivité de nos entreprises. En revanche, la profitabilité de ces dernières reste trop faible. Pourquoi ? Car malgré le CICE et les baisses de charges patronales sur les bas salaires, le salaire net représente encore en moyenne moins de 60 % du coût d'un salarié pour l'entreprise et à peine un peu plus de la moitié pour les cadres. Cet écart est beaucoup trop élevé. C'est l'un des plus hauts des pays de l'OCDE. Surtout que, j'insiste bien, dans cette équation, il n'y a que des perdants : le dirigeant pour qui le coût du travail est trop élevé et son collaborateur car son salaire net, est trop faible. Comme il est absolument impossible d'augmenter les rémunérations sans détériorer la compétitivité, la seule solution est de réduire massivement les charges et donc de réduire la dépense publique que ces charges financent.

La seconde chose, c'est que l'ensemble des taxes touchant les entrepreneurs sont un maquis dans lequel plus personne ne s'y retrouve. Et qui pèsent de manière dramatique sur la production, qu'il s'agisse de la TVA, de la taxe sur la formation ou de la C3S. Je plaide pour une fiscalité plus stable, plus lisible, recentrée autour de l'impôt sur les sociétés.

"Je plaide pour une fiscalité recentrée autour de l'impôt sur les sociétés"

Troisième point : les délais de paiement restent beaucoup trop longs. Ils doivent absolument être harmonisés, au niveau européen, à 30 jours.

Et enfin, inventons des dispositifs de transmission du patrimoine industriel qui permettent de préserver nos PME familiales. Les dispositifs existants, tels Dutreil, sont insuffisants. Il faut supprimer l'ISF qui impose aux familles d'entrepreneurs de vendre leurs parts ou d'exiger des dividendes quand elles ne sont plus directement dans la gestion pour pouvoir payer cet impôt. J'ai visité les sirops Monin, à Bourges, une structure fantastique, très innovante et dotée d'une capacité d'exportation exceptionnelle. Ces entreprises doivent disposer d'une fiscalité qui leur permette de transmettre plus facilement le patrimoine familial.

Que pensez-vous des mesures prises par la loi Macron, notamment en ce qui concerne les accords de maintien dans l'emploi et l'accélération des procédures prud'homales ?

Ce que prévoit la loi Macron est épsilonesque par rapport à ce qui devrait être fait. Nous ne devons pas opérer de petites modifications, mais conduire un véritable changement culturel.

Quand on voit les blocages que la loi Macron a provoqués, ne doutez-vous pas de la capacité de réforme de la France ?

Quand on fait de petites mesures, on suscite de gros blocages. Et contrairement à ce que l'on croit, quand on conduit de grandes mesures, on ne provoque que de petits blocages. Plutôt que d'opérer des réformes ici et là qui ne donneront aucun résultat, ouvrons la voie à des changements profonds qui auront un impact sur la croissance et donc sur l'emploi. Depuis 40 ans en France, on pense à redistribuer de la richesse avant d'en créer. C'est tout l'inverse que nous devons faire. On est désormais au pied du mur. Soit on donne aux entrepreneurs les moyens de se développer, d'être profitable, de transformer leur enthousiasme pour créer des centaines de milliers d'emplois. Soit on conserve le même modèle économique et social qu'on ajuste de temps à autre et rien ne s'améliorera. J'opte pour cette première option, plus radicale.

Que pensez-vous des 35 heures ?

Chaque entreprise doit pouvoir décider, en son sein, de la durée du travail en fonction de son carnet de commandes. Sortons de cette logique marxiste qui régit la France depuis des années et selon laquelle le patron est méchant et que le salarié doit en être protégé. Notre priorité, c'est de donner un emploi à tous et ces emplois, ce seront les PME et les TPE qui les créeront. Simplifions-leur la vie!

Quelles mesures proposez-vous pour réformer le RSI ?

Je suis indigné de voir la façon dont sont traités les commerçants, les artisans ou les professions individuelles. Pendant des années, ils travaillent et cotisent des sommes importantes pour, à leur retraite, parfois attendre jusqu'à deux ans avant de la toucher. Vous trouvez ça normal ? Pas moi.

Je demande donc la liberté d'affiliation au régime général. D'autant que ça créera de la concurrence et encouragera le RSI à prendre les réformes nécessaires. Je réclame la mise en place d'un droit opposable à la retraite pour les indépendants : ils doivent pouvoir percevoir leur pension au plus tard 4 mois après avoir déposé leur dossier.

Quels sont les défis des chefs d'entreprise ?

"Notre priorité, c'est de donner un emploi à tous et ces emplois, ce seront les PME et les TPE."

Je juge formidable la volonté des entrepreneurs d'investir, d'innover, de se développer, de créer des emplois, et d'animer leur territoire, J'ai rencontré, à Vesoul, un agriculteur qui, ne trouvant pas le vérin hydraulique adéquat pour son tracteur, en a créé un. Aujourd'hui, il est à la tête de Sahgev, PME qui exporte, depuis la Franche-Comté, dans le monde entier. Son dirigeant, Jean-Luc Quivogne, il faut l'aider par tous les moyens possibles. Or, il n'a que des bâtons dans les roues de par la fiscalité, de par le droit du travail, de par l'administration, de par les charges qui l'empêchent de recruter et de par les dispositifs de formation. L'industrie est un secteur d'avenir où demain la robotisation créera des postes qualifiés et bien rémunérés. Encore faut-il former les jeunes... et ce n'est pas le cas! Vous n'avez qu'à voir certains CFA qui ne parviennent pas à se remplir alors qu'ils offrent des taux d'employabilité, à leur sortie, de 100 %. Il y a quand même un problème!

Quels conseils donneriez-vous aux chefs d'entreprise ?

Je leur dirais de se révolter davantage pour obtenir un modèle économique différent, plus favorable à la création de richesses et donc à l'emploi. J'aimerais les entendre davantage, tous ceux qui vivent dans un modèle défavorable et qui souffrent de trop de contraintes administratives, d'une fiscalité trop lourde et de charges trop élevées.

Qu'ils exigent de leurs responsables politiques les changements nécessaires devant lesquels la France a reculé pendant 40 ans. Un pays qui ne dispose pas d'une capacité industrielle forte est un pays faible.

 
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