Entreprendre après 50 ans : forces et faiblesses
Ils ont plus de cinquante ans et se sont lancés dans l'aventure start-up. Avantages, inconvénients, conseils... Trois dirigeants livrent leur retour d'expérience.
Je m'abonne65 printemps. C'est l'âge du doyen de Station F, selon une étude de l'incubateur rendue publique en juin 2018 pour son premier anniversaire. Un âge auquel, à rebours d'une certaine idée reçue, il est toujours possible de se lancer dans l'entrepreneuriat. Une démarche qui, après cinquante ans, peut toutefois attirer pour des raisons différentes.
"Absence d'emploi, envie de valoriser ses compétences ou stagnation dans son emploi actuel, envie de se constituer un patrimoine pour transmettre à ses enfants, manque de temps jusqu'alors...", détaille Laurence Piganeau, directrice expertise et production de l'Agence France Entrepreneur (AFE), dédiée aux créateurs et repreneurs d'entreprise.
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Un avantage : le carnet d'adresses
"L'avantage de se lancer à cet âge, c'est qu'on a l'expérience et la connaissance du secteur. Cela permet d'aller très vite et d'éviter les erreurs", témoigne Armand Stemmer, fondateur vers l'âge de 65 ans, de Lyra, PME de 70 personnes spécialisée dans la numérisation des cabinets dentaires. Une expérience qui s'inscrit dans une certaine continuité pour cet ancien dentiste, également à la tête d'une autre structure spécialisée dans la distribution de produits spécialisés pour ce secteur. Une double casquette, qui lui donne une fine connaissance de ce domaine et des acteurs qui le composent. "C'est plus facile car les gens vous font confiance..."
Même chose pour Thierry de Vulpillières, fondateur d'EvidenceB, une start-up spécialisée dans l'éducation par le numérique, lancée en juillet 2017 à 54 ans, après 27 ans en maison d'édition (Belin, Editis) puis chez Microsoft. "L'avantage, c'est que l'on peut capitaliser sur sa connaissance du réseau et du fonctionnement du marché", abonde le chef d'entreprise.
Et si d'autres font le choix de se lancer dans un nouveau domaine, il reste possible de s'appuyer sur son réseau, par exemple, pour trouver des prestataires d'accompagnement, ou échanger avec d'autres chefs d'entreprise.
Autre avantage, l'expérience va de pair avec le carnet d'adresses. "Les personnes qui se lancent après cinquante ans ont un carnet d'adresses - ce qui est le point faible des jeunes qui démarrent -, sauf si elles se lancent dans un domaine qui n'a rien à voir avec ce qu'elles ont fait auparavant, ce qui peut d'ailleurs être une motivation...", indique Laurence Piganeau.
C'est, par exemple, ce qui permet à Thierry de Vulpillières de toucher les décideurs plus rapidement. "En B to B, on peut être en circuit plus court pour s'adresser aux décideurs. C'est le privilège de l'âge. Vous connaissez les gens, leur réseau, vous gagnez du temps". Un plus pour accélérer la croissance de sa start-up, à tous les niveaux. Ainsi, en s'appuyant sur son réseau de chercheurs, de correspondants internationaux, il pense parvenir à recueillir plus que les 300 000 euros initialement prévus, dans le cadre d'une levée de fonds en cours.
"On avait fait le tour..." Pour Michel Gien, septuagénaire, qui codirige aujourd'hui sa troisième start-up, Twinlife, à l'origine d'une messagerie visant à préserver la vie privée des utilisateurs, l'avantage est que l'initiative lui permettait de retrouver du contrôle et de l'enthousiasme après un rachat d'entreprise et une rupture conventionnelle avec son précédent employeur. Le plus ? "Le fait de pouvoir tout faire soi-même...", apprécie cet ancien de l'Inria et du CNET (France Télécom/Orange Labs), spécialisé dans les systèmes d'exploitation et les technologies de virtualisation.
Un inconvénient : une nouvelle organisation à acquérir
Autant de points positifs qui sont, par d'autres aspects, à relativiser. "Créer sa start-up après cinquante ans entraîne un changement radical de rythme de vie, générateur de stress, souligne Laurence Piganeau. Cela nécessite de la volonté, de la ténacité, un soutien familial. Pour quelqu'un qui a été salarié jusqu'alors, cela peut être particulièrement radical".
Parmi les difficultés figurent, à ses yeux, le fait de se retrouver seul, d'avoir à prendre, seul, des décisions, de devoir s'organiser, la complexité des démarches, le choix du statut. "Il peut avoir une incidence sur les droits à la retraite ou sur la transmission", remarque l'experte.
De même, les contraintes ne sont pas les mêmes. Emprunt, enfants... "Vous n'avez pas les mêmes charges. La prise de risque est plus grande", remarque Thierry de Vulpillières.
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Un conseil : "squatter les dispositifs faits pour les jeunes"
Pour réussir, Thierry de Vulpillières conseille de ne pas rester seul. "L'écosystème des start-up s'est structuré. Méthode lean, incubateurs... L'accompagnement de la création est très balisé, témoigne le dirigeant. C'est du pain béni pour les gens comme moi. Il est important de se greffer à cet écosystème". Passé par l'incubateur Schoolab, le fondateur d'EvidenceB entame actuellement sa première année à Willa (ex-Paris Pionnières).
A ses yeux, le point fort de ce type de structures est "l'entraide, et le "troc" entre jeunes et seniors". C'est ainsi, par exemple, que des ingénieurs de Centrale l'ont accompagné pour la création de son premier prototype de chatbot (un test de syntaxe à expérimenter sur Messenger en indiquant @EvidenceB.eu). Si les jeunes apportent leur énergie, l'inverse est vrai aussi : l'expérience est valorisée. D'où la nécessité de ne pas hésiter à "squatter les lieux faits pour les jeunes, utiliser les dispositifs faits pour les sorties d'école, faire les concours de pitchs..."
De son côté, Armand Stemmer conseille de soigner particulièrement le financement (voir encadré ci-dessous). Pour Michel Gien, il faut savoir faire preuve de souplesse en conjuguant les objectifs. "Avoir une grande vision à long terme mais aussi se concentrer sur l'opérationnel au jour le jour avec des objectifs atteignables et proches", explique-t-il. Autrement dit, "avancer petit à petit et profiter des opportunités". Une gymnastique permanente entre deux temporalités, qui nécessite de véritables qualités. "Il faut être patient, persévérant, jamais lâcher mais ne pas être têtu...", explique celui pour qui, au bout du compte, "l'important, c'est le plaisir qu'on a à faire ce qu'on fait".
"Il faut bien préparer son projet sur le plan personnel, bien réfléchir à ses objectifs personnels, conseille, de son côté, Florence Piganeau. Mais aussi ne pas se lancer seul et se faire accompagner".
Quoiqu'il en soit, "c'est un bon moment pour créer son entreprise car on est plus sûr de soi", estime l'experte. "C'est plus facile la deuxième fois", estime Armand Stemmer. "C'est plutôt plus simple car on sait comment ça se passe, on va très vite, on connaît les gens...", note Michel Gien.
"Il y a beaucoup plus de cheveux gris qu'il n'y paraît dans les aventures qui marchent...", constate Thierry de Vulpillières.
Financement : " certains ont des critères de jeunisme extrêmement forts "
Si la question du financement est délicate pour tout entrepreneur, la question est de savoir si, face aux investisseurs, l'âge constitue un atout ou un inconvénient. "Les investisseurs regardent la qualité du projet, sa rentabilité, la capacité de la personne à le mener à bien, estime Laurence Piganeau. Dans ce cadre, l'expérience est un plus. En revanche, le banquier va chercher des garanties - mais il vaut mieux éviter de mettre son patrimoine dans la balance...".
Une vision plutôt positive que ne partage pas Thierry de Vulpillières. "Certains investisseurs ont des critères de jeunisme extrêmement forts. Certains financeurs ont l'âge comme critère rédhibitoire", a-t-il constaté. De son côté, Michel Gien a financé son entreprise avec sa retraite, tandis que son associé, Christian Jacquemot, injectait ses indemnités Pôle Emploi dans l'entreprise. A cela s'ajoutent d'autres sources de financement, notamment Bpifrance.
"A 25 ans, à la sortie de l'école, tomber sur la bonne idée est assez rare. Après dix ans, on prend conscience des codes de l'environnement professionnel, des problèmes à résoudre. Quand on vient d'un grand groupe, à quarante ans on peut profiter d'un plan de restructuration et vivre pendant trois ans sur les financements de Pôle Emploi", remarque-t-il.
Quoiqu'il en soit, l'étape du financement apparaît "plus facile aujourd'hui qu'il y a trente ans" à Armand Stemmer, qui a financé son entreprise avec sa première société.