Faut-il transformer son entreprise en société à mission ?
Suscitant un vif intérêt aujourd'hui, la qualité de société à mission permet à une entreprise de déclarer sa raison d'être à travers plusieurs objectifs sociaux et environnementaux. Inscrite dans ses statuts, la mission fait l'objet d'une inscription au RCS. Elle est soumise à un double contrôle.
Je m'abonneD'inspiration américaine, la qualité de société à mission a été introduite dans notre droit par la loi Pacte(1), permettant à une entreprise de déclarer sa raison d'être à travers plusieurs objectifs sociaux et environnementaux. Cette qualité de société à mission suscite un vif intérêt aujourd'hui et a été adoptée par un très grand nombre d'entreprises françaises(2) .
Issue de la conviction que l'entreprise a une raison d'être et contribue à un intérêt collectif confrontée à l'essor des défis environnementaux et sociaux, cette nouvelle notion confirme la volonté des pouvoirs publics d'ouvrir à de telles sociétés des perspectives d'intérêt général. Le législateur a ainsi complété la finalité spéculative de la société telle que définie au Code civil (l'article 1832 du Code civil dispose que la société est instituée " en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter ") par des valeurs environnementales et sociétales.
Il ne s'agit pas d'une nouvelle forme sociale ni d'un nouvel outil relevant de l'économie sociale et solidaire. Il s'agit d'une qualité que peuvent revendiquer " des entreprises inscrites dans une économie 'patiente', prêtes à renoncer à des profits de court terme pour viser une création de valeur durable "(3).
1. Les conditions de la société à mission
Une mission
La raison d'être est définie comme les " principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité " (art. 1835 c. civ.). Elle traduit ainsi la " démarche de capitalisme responsable "(4) que l'entreprise souhaite adopter afin de ne pas être guidée par la seule recherche de profits, en mettant en place des objectifs et des actions au soutien de cette raison d'être.
Dans une démarche plus volontaire, la société peut décider d'inscrire sa raison d'être comme mission, prenant ainsi l'engagement d'un point de vue légal de développer son activité dans le but de résoudre un problème sociétal ou environnemental identifié.
La société à mission peut être une société commerciale, quelle que soit sa forme, ou tout aussi bien une coopérative ou une mutuelle.
Les statuts doivent préciser la raison d'être et indiquer un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité (art. L. 210-10 c. com.).
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Enfin, la société doit déclarer sa qualité au greffier du tribunal de commerce, qui la publie au registre du commerce et des sociétés.
Une gouvernance protectrice
La société à mission doit se doter d'un organe de contrôle interne ou comité de mission, distinct des organes sociaux prévus par le code de commerce.
Ce comité doit comporter au moins un salarié. Chargé exclusivement du suivi de l'accomplissement de la mission, il présente annuellement un rapport joint au rapport de gestion à l'assemblée chargée de l'approbation des comptes de la société. Il procède à toutes vérifications qu'il juge opportune et se fait communiquer tout document nécessaire au suivi de l'exécution de la mission.
Dans les sociétés de moins de cinquante salariés, il peut être nommé un référent de mission qui fait office de comité.
L'organisme tiers indépendant
L'exécution des objectifs sociaux et environnementaux fait l'objet d'une vérification par un tiers indépendant, choisi sur une liste d'organismes accrédités par le Cofrac (Comité Français d'Accréditation).
Désigné pour six exercices et dans la limite d'une durée totale de douze exercices, l'organisme doit respecter les incompatibilités qui sont celles régissant le statut de commissaire aux comptes (C. com., art. L. 822-11-3).
Il procède à la vérification de la réalisation des objectifs au moins tous les deux ans, les premières vérifications devant intervenir 18 mois - ou 24 mois pour les entreprises de moins de 50 salariés - suivant la publication de la déclaration de la qualité de société à mission au registre du commerce et des sociétés. Cette vérification donne lieu à un avis joint au rapport du comité de mission.
En l'absence de précision réglementaire supplémentaire, l'organisme tiers indépendant devra déterminer lui-même les meilleures diligences à accomplir dans le cadre de sa mission qu'il devra indiquer dans son avis. Cet avis sera publié sur le site internet de la société et devra demeurer accessible publiquement pendant au moins cinq ans.
2. Les sanctions du non-respect des conditions
Lorsque l'une des conditions de constitution fait défaut ou lorsque l'avis de l'organisme tiers indépendant conclut qu'un ou plusieurs des objectifs sociaux et environnementaux que la société s'est assignés n'est pas suivi d'effets, le ministère public ou toute personne intéressée peut saisir le président du tribunal statuant en référé. L'objectif est d'enjoindre, le cas échéant sous astreinte, au représentant légal de la société de supprimer la mention " société à mission " de tous les actes, documents ou supports électroniques émanant de la société. C'est, pour le moment, la seule sanction prévue par la loi (art. L. 210-11 c. com.).
On peut toutefois se demander si un reproche de concurrence déloyale ne pourrait pas être fait à des sociétés ayant déclaré cette qualité sans véritablement en tirer des conséquences.
De plus, force est de constater que la qualité de société à mission élargit l'objet statutaire et, corrélativement, agrandit d'autant les pouvoirs des dirigeants. Pourtant, elle pourrait être de nature à créer de nouvelles causes de responsabilité, tant pour les dirigeants que pour la personne morale.
Il en résulte que cette option doit refléter un réel engagement des associés, un choix collectif au travers du contrat de société, et nécessite une attention rigoureuse au moment de sa rédaction au sein des statuts.
Pour en savoir plus
Marie Frisch est avocate en droit des affaires. Elle intervient auprès des entreprises et de leurs dirigeants dans toutes les problématiques de droit des sociétés, droit commercial et des contrats, droit de la concurrence ainsi qu'en contentieux commercial et pénal.
(1) Loi n°2019-486 loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises
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(2) A titre d'illustration et de façon non limitative : Danone, Groupe Rocher, Faguo, Le Slip Français, Citizen Capital, Sycomore, Maif Avenir.
(3) Rapport Notat-Sénard (p. 69)
(4) X. Delpech, D. actu. 14 janv. 2020