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[Interview] Aurélie Jean, In Silico Veritas : " On suspecte vite la réussite d'une femme "

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[Interview] Aurélie Jean, In Silico Veritas : ' On suspecte vite la réussite d'une femme '
© Frédéric Monceau

La féminisation de l'entrepreneuriat et du milieu de la tech sont des enjeux majeurs en France. Pourtant, ils sont loin d'être atteints. Une problématique que décrypte, depuis l'autre côté de l'Atlantique, Aurélie Jean, docteure en sciences et dirigeante de In Silico Veritas.

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D'où vient votre vocation d'entrepreneure ?

Difficile à dire. Je n'ai jamais vraiment pensé à devenir entrepreneure, cela c'est fait assez naturellement. Je me souviens encore de cette conversation dans ce café de Boston près du MIT (Massachusetts Institute of Technology), en 2015, avec le professeur Tara Swart (qui est aussi une amie). Elle me disait que je devrais penser à lancer une boîte... À l'époque, j'avais levé les yeux au ciel ! Mais un an plus tard, ma première société était créée, donnant raison à Tara (rires).

Je pense que la recherche encourage l'esprit d'entrepreneuriat. On travaille de manière très indépendante en équipe, on lève des fonds, sur des sujets parfois multiples... On prend des risques aussi. L'indépendance et l'acte d'entreprendre sont la signature d'un chercheur. En tout cas, c'est le cas aux États-Unis.

À quelles difficultés vous êtes-vous confrontée ?

Mon cas est un peu différent, car j'ai lancé ma première boîte en 2016 alors que j'étais encore en poste chez Bloomberg à New York [NDLR : In Silico Veritas, dont le but est de faire connaitre les nouvelles technologies et la data au plus grand nombre]. Mon activité a réellement démarré en 2018 : les six premiers mois ont été difficiles mais il y a eu une sorte d'effet boule de neige. Les contrats sont arrivés par le bouche à oreille, grâce à des clients satisfaits. D'ailleurs, je crois énormément à la confiance dans la durabilité d'une entreprise en B to B, ce qui s'est accentué avec la crise de la Covid-19. Si un choix doit être fait, les clients préféreront sûrement garder les prestataires en qui ils ont le plus confiance.

Quels sont les enjeux de la féminisation du secteur numérique ?

D'abord, un enjeu sociétal afin de créer des outils et des modèles inclusifs, ne présentant aucun risque de discrimination technologique. En cela, je dis souvent qu'on doit créer des outils par tous et pour tous. La diversité chez les concepteurs est alors fondamentale. Il y a également un enjeu économique pour un milieu qui doit savoir faire appel à tous les talents pour grandir : les femmes doivent profiter autant que les hommes des retombées fortes d'un tel écosystème !

Quels sont les préjugés qui freinent encore la parité dans le milieu de la tech ?

Ceux que les gens ont sur le métier et sur les gens qui l'habitent. Je trouve qu'il y a d'autres milieux qui sont bien plus exclusifs que la tech. Cette dernière a, je pense, comme motto implicite "viens comme tu es". On regardera votre talent et pas la manière dont vous vous habillez ou dont vous vous exprimez. Cela étant dit, des efforts de communication doivent être réalisés, comme ceux déployés par l'organisation Tech.Rocks qui met en lumière les femmes dirigeantes techniques et les domaines de la tech.

Vous expliquez dans votre livre " De l'autre côté de la machine " qu'il faut lutter contre la fracture numérique par l'éducation. À qui incombe ce devoir de pédagogie ?

Les pouvoirs publics bien évidemment, avec l'école, mais aussi les entreprises qui sont en charge de faire monter en compétences leurs employés. Je crois à l'éducation par l'exemple. Dans cette idée, il faut mettre en lumière ceux qui se comportent bien, qui redonnent à la société et qui transmettent les clés de la réussite aux autres.

Avez-vous des exemples ?

Je pense à Marion Darrieutort, CEO et fondatrice du cabinet de conseil en influence The Arcane, qui incarne selon moi le chef d'entreprise moderne, empathique, efficace, performante et altruiste. Marion saura toujours attirer les nouvelles générations qui veulent donner du sens à leur travail et à leurs actions de manière générale, car elle les comprend et elle parle leur langage. Je pense également à Moussa Camara, un chef d'entreprise, fondateur et dirigeant de l'association Les Déterminés, qui est un être humain d'une profondeur émotionnelle incroyable. Diriger ne veut pas dire être autoritaire et froid, car après tout on gagne le respect de ses équipes par la connaissance, l'expérience et le partage, et non pas par une autorité stéréotypée.

Vous avez été formée à l'ENS, Mines Tech et au Mit. Que dites-vous à celles qui ne se retrouvent pas dans votre parcours et pourraient se sentir complexées ?

Que c'est une vision très française... (rires) ! Aux États-Unis, on regarde ce que vous produisez et ce que vous avez achevé professionnellement dans le passé. On ne me demande jamais quelle université ou école j'ai faite, alors qu'en France, cela arrive très vite dans la discussion. Et cela me met vraiment mal à l'aise. Je conseille alors aux gens de rebondir dans la conversation en mettant en avant un projet dont ils sont fiers, ou d'aborder ce sur quoi ils aimeraient travailler dans le futur.

Vous avez signé dans Libération une tribune qui revient sur les notions d'échec et de réussite. D'après vous, existe-t-il, là aussi, une différence de traitement entre entrepreneurs, femmes et hommes ?

J'ai le sentiment que oui. En France, on suspecte davantage la réussite d'une femme en comparaison à celle d'un homme. On trouvera plein de raisons à son succès, autres que ses compétences et son travail... C'est fatiguant ! De même, on accepte moins l'échec d'une femme qui aura moins facilement une seconde chance. C'est ce que je ressens et ce que je vois.

Entreprendre en tant que femme : en quoi est-ce différent aux Etats-Unis ?

J'aimerais vous dire qu'il n'y a aucune différence entre la France et les Etats-Unis, mais ce n'est malheureusement pas le cas. Aux Etats-Unis, on me voit professionnellement en tant que scientifique, entrepreneure, individu en général, alors qu'en France, on me voit en premier comme une femme. Sans entrer dans les clichés, je remarque que notre pays a encore beaucoup de progrès à faire sur la valorisation des talents féminins. De même, aux Etats-Unis, on ne rigole pas avec les sujets de harcèlement ou de discrimination dans le milieu professionnel et c'est tant mieux. Disons, en arrondissant bien les angles, que nous sommes encore un pays macho... mais ça avance et grâce aux hommes aussi !

Vous avez créé une entreprise aux Etats-Unis et une en France. Quels sont les atouts de chacun des pays ?

Mon entreprise est aux Etats-Unis, mais j'ai également monté une structure en France pour travailler avec l'Europe. De mon expérience, il est plus simple de créer et de faire vivre sa boîte aux Etats-Unis. Même si l'État français aide a priori les start-up financièrement (par la BPI par exemple), les Etats-Unis soutiennent les jeunes entreprises avec des fiscalités intéressantes, entre autres. Il faut d'ailleurs accorder plus de souplesse à ces dernières. De l'argent, c'est bien, mais moins de charges administratives, moins de taxes et moins de charges sociales permettraient de soulager les entrepreneurs qui démarrent.

Aurélie Jean est docteure en sciences et entrepreneure. Spécialisée dans les algorithmes et la modélisation numérique, elle poursuit sa recherche postdoctorale en 2009 dans un laboratoire de recherche américain. En 2016, alors qu'elle occupe un poste de développeuse senior à Bloomberg, elle crée In Silico Veritas, agence de développement analytique et numérique spécialisée en algorithmique. Elle est l'auteure de nombreux ouvrages.

De l'autre côté de la machine, Aurélie Jean, édition LGF - Le livre de Poche, novembre 2020, 7,70 €


 
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