La Camif, parfaite illustration d'une entreprise à mission
Passer de vépéciste au bord de la faillite à acteur de référence sur l'équipement de la maison made in France ? C'est le défi qu'a su relever la Camif en l'espace de dix ans. Émery Jacquillat, son p-dg, en livre quelques clés et dénonce les crises de notre époque.
Je m'abonneSe poser la question du sens, définir sa raison d'être, traduire cette réflexion en engagements, les ancrer dans le quotidien de l'entreprise, modifier en profondeur ses pratiques et sa façon d'interagir avec les parties prenantes... " Concrètement, devenir une entreprise à mission revient à transformer l'entreprise, souligne Émery Jacquillat, p-dg de la Camif. Et, en se dotant d'objectifs, on se doit de les évaluer : on est obligé de progresser, car on a toujours envie de faire mieux. "
Le spécialiste de l'aménagement local et durable de la maison mène cet exercice depuis 2013. Une stratégie gagnante qui, après d'importants bouleversements, a permis à l'entreprise de Niort (Deux-Sèvres) de gagner en notoriété et en croissance.
Urgence
Lorsque Émery Jacquillat reprend la Camif en 2009, l'entreprise, créée en 1947, est en liquidation judiciaire depuis quelques mois. La remise en question est alors indispensable. Elle sera même précurseur, car elle prendra la forme de l'entreprise à mission. Un modèle - introduit par la loi Pacte seulement en 2019 - selon lequel l'entreprise doit être utile à la société et doit, à travers son activité, répondre à certains défis et enjeux sociaux ou environnementaux.
En tout, il faudra deux ans et demi à la Camif pour formuler sa raison d'être. La démarche implique, notamment, d'interroger l'ensemble des parties prenantes pour définir ce qui serait différent si l'entreprise n'existait pas ou si tous les acteurs du marché adoptaient les mêmes pratiques que la Camif. " Il pourrait, par exemple, s'agir de recréer 20?000 emplois en France, de diviser par deux l'impact carbone de notre consommation dans l'équipement de la maison où 80 % des biens sont importés de Chine... "
Une recherche de sens (mené avec le fonds Citizen Capital, premier fonds d'impact en France) et un travail de recueil de la matière qui a permis de formuler, ensuite, la mission de la Camif : d'une part, proposer des produits et des services dans la maison au bénéfice de l'homme et de la planète ; d'autre part, mobiliser l'ensemble de l'écosystème pour agir et inventer de nouveaux modèles de consommation, de production et d'organisation. Une évidence aujourd'hui, mais une démarche loin d'être courante il y a encore quelques années. " Nous sommes arrivés au bout d'un système. Il faut mettre en place une économie plus locale, circulaire, plus inclusive et soutenable ", insiste Émery Jacquillat. Et de rappeler les conclusions de l'étude de Carbone 4 selon lesquelles si tous les Français adoptaient de meilleures pratiques en matière d'écogestes, ce seraient 25 % du chemin réalisés pour se limiter dans la trajectoire des 2 °C. Charge aux entreprises, territoires et collectivités de réaliser les 75 % restants. " Il y a donc une pression et une certaine urgence à agir de la part des entreprises et à se doter d'objectifs sociaux et environnementaux, lesquels ne sont pas du tout incompatibles avec les objectifs économiques. Bien au contraire, cela peut même être un levier de transformation de la société. "
Éditeur
Concrètement, la Camif mise désormais sur le made in France et la qualité. Un choix qui correspond à l'attente de plus en plus forte de la part des consommateurs français. " Nous avons pu repartir sur la base des clients historiques qui étaient très attachés à la marque, indique Émery Jacquillat. Mais, avec un âge moyen de 65 ans, il était indispensable d'aller chercher des clients nouveaux. Aujourd'hui c'est le cas pour 81 % de nos clients. " 500 000 nouveaux clients (donnée 2020) qui n'ont pas plus de moyens que les autres, mais se livrent à davantage d'arbitrages, achètent moins de produits, ne sautent pas forcément sur le dernier smartphone à la mode, réalisent plus de choses par eux-mêmes, privilégient l'occasion... Ce qui libère du pouvoir d'achat pour acheter mieux, c'est-à-dire un matelas ou un canapé fabriqués dans de bonnes conditions sociales et environnementales.
Pour accélérer cette démarche de transformation de l'offre - et plutôt que de dépendre de la bonne volonté des fabricants avec lesquels l'entreprise travaille -, le projet Camif Édition est lancé en 2017. Au-delà de son travail historique de distributeur, la Camif devient éditeur de produits originaux cocréés avec des experts de l'économie circulaire, des fabricants français, des designers, des consommateurs et des collaborateurs qualifiés. " C'est une mutation de métier pour nous. Au sein de notre filière, de façon modeste, l'idée est d'imprimer un changement de méthode, de façon de faire. Dans nos équipes, les chefs de produit deviennent chefs de projet. "
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Consciences
Si le chemin est passionnant, il comprend ses injonctions contradictoires. En 2017, la Camif boycotte le Black Friday et décide d'opposer business et enjeux sociaux et environnementaux. But de l'opération (réitérée en 2018 et 2019) : tenir l'engagement d'informer et de sensibiliser à la consommation responsable. " À court terme, nous avons perdu du chiffre, car nous avons écarté le meilleur jour du e-commerce, admet le p-dg. Mais cela a participé à éveiller les consciences.
Selon les indices de notoriété, la Camif est devenue la marque n° 1 sur le secteur équipements de la maison en termes d'engagements responsables et développement durable.
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Après la loi Pacte, le dirigeant estime que la crise sanitaire est le deuxième accélérateur de changement de paradigme. Avec 110 % de croissance au deuxième trimestre et +65 % entre avril et septembre, les performances de la Camif le prouvent. " Les consommateurs-citoyens sont en train de passer à l'action ", clame-t-il.
En 2020, le chiffre d'affaires avoisine les 50 millions (contre 20 millions en 2019), dont 73 % réalisés avec une centaine de fabricants français. Autre levier clé : dynamiser l'emploi et l'insertion dans les territoires. Par le biais de son engagement sur le made in France, le groupe a pu mesurer un effet démultiplicateur : un emploi à la Camif représente 14 emplois soutenus par son activité (via les fabricants, fournisseurs...). Prochain combat à livrer : la création d'une TVA responsable et réduite sur les produits écoconçus et sur la réparation. Un amendement a récemment été déposé. Affaire à suivre.
Fabrication et vente de meubles et articles de décoration
Niort (Deux-Sèvres)
Émery Jacquillat, 49 ans, p-dg
SAS > Création en 1947 (reprise en 2009) > 81 salariés
CA 2020 : environ 50 M€ (Prévisionnel)