L'avenir de la conso est-il dans le rétro ?
Qu'elle réponde à des problématiques économiques, écologiques ou esthétiques, la tendance vintage est source d'enseignements pour l'avenir des biens de consommation. Le point sur les modèles qui se développent, se font remarquer, voire conquièrent des marchés.
Je m'abonneFaire du neuf avec du vieux, la formule est bien connue et pourtant, elle évolue. Créateur du Salon du vintage, Laurent Journo en est convaincu. Depuis 2007, le petit événement est devenu une grosse machine qui tourne sur douze villes avec 1 200 exposants et 150 000 visiteurs par an. " Face à la demande, les amateurs des débuts qui occupaient les stands se sont professionnalisés ", précise-t-il.
Même constat pour Aurélie Vassy, cofondatrice de Shine a lot, maison de ventes aux enchères spécialisée dans la mode vintage et auteur d'un ouvrage sur le sujet1 : " Jusqu'à présent, la clientèle était constituée d'acheteurs particuliers en quête de pièces de luxe à prix économiques. En cinq ans, les professionnels se sont déplacés vers les ventes aux enchères pour constituer leurs stocks et augmenter leurs capacités de vente. De 35 %, cette catégorie représente 50 % aujourd'hui. "
Levier de consommation, le vintage séduit donc par sa valeur associée, quelle qu'elle soit. À l'instar d'oeuvres d'art, certaines pièces rétro de mobilier ou d'accessoires de décoration se collectionnent. Les puces en font leur business depuis bien longtemps et des sites web comme Leboncoin, eBay ou Selency l'ont également bien compris.
Mais des domaines complétement nouveaux affolent les compteurs, tels que le rétrogaming (jeux vidéo anciens) ou encore les sneakers. Pour des jeux qui ne sont plus édités ou des baskets commercialisées en édition limitée, collectionneurs et spéculateurs sont prêts à faire grimper les prix. " Le vintage devient un véritable investissement financier, assure Aurélie Vassy. Pour certains acheteurs, un sac à main Hermès constitue un placement financier. De plus en plus, les vêtements et accessoires sont associés à une idée de patrimoine et les amateurs ont une réelle connaissance des valeurs à l'achat et à la revente. " Aussi, parce que l'idée du vintage renvoie à la notion de qualité, de nombreuses marques surfent sur la tendance d'une manière ou d'une autre.
Il y a une dizaine d'années, l'ère du rétro-marketing consistait à reprendre les codes des années 50-60, à l'instar des campagnes et du packaging des produits ménagers Starwax. Et depuis, le phénomène de la réédition s'emballe. De Décathlon en 2018, qui reproduit - et cartonne - avec un jogging du catalogue de 1985, à Courrèges qui réédite cette année ses pièces iconiques, les idées qui font le buzz arrivent tout droit du passé.
Effets de mode, lubies des consommateurs, épiphonèmes ? Peut-être, parfois. Mais certains acteurs vont plus loin, s'approprient l'esthétique rétro et lui adjoignent les qualités ou critères de l'époque actuelle. Une interprétation du vintage qui s'observe notamment dans les équipements du quotidien : électroménager, appareils photo, deux roues et automobile. Exemple avec Volkswagen qui reprend son cultissime van pour en faire un combi électrique autonome. Comme l'analyse Emmanuelle de Mazières, " le vintage revêt plusieurs significations selon l'usage que les consommateurs en feront au quotidien "... ou de la stratégie de l'entreprise qui s'en empare ! Faire rester un style ou une marque historique dans l'air du temps n'est pas un exercice facile et loin d'être une science exacte. (lire la suite page 2)
Témoignage
" Avec Solex, nous inventons la mobilité de demain "
Grégory Trebaol P -dg du groupe Easybike
Grégory Trebaol entre sur le marché du vélo à assistance électrique en 2005 et décide de rafraîchir le produit. C'est une évidence, le produit est ni plus ni moins qu'un vélomoteur dont le pionnier est Solex. La marque appartient alors au groupe Fiat - Magneti Marelli et l'acquisition ne peut se faire. Qu'à cela ne tienne, l'entrepreneur crée la marque Easybike. Le destin et le business l'amènent plus tard à collaborer avec Solex en tant que conseil et fabricant. La proposition de rachat au tournant 2015 semble logique, mais risquée. Le but : investir pour avoir un ADN et une renommée aussi forts que Solex.
" L'effort financier réalisé à une période où le marché du vélo à assistance électrique n'était pas encore là, nous permet à terme d'avoir une marque forte et pas les contraintes d'une marque naissante ", analyse Grégory Trebaol.
Autre avantage : Solex est associé à une vraie stratégie industrielle et de produit. En faisant évoluer la technologie, la marque serait en capacité de reproduire ce qui a fait son succès entre 1946 et 1980. " Nous sommes dans une ère nouvelle avec un important marché devant nous, poursuit le p-dg . Easybike a dorénavant toute latitude pour développer la marque Solex. Mais avant de travailler sur les design de modèles, nous nous attachons à la motorisation, simple et performante. " Aussi, le modèle Solex Intemporel 1946 saura séduire une catégorie d'utilisateurs de VAE. Mais la marque voit plus loin : " Notre volonté est d'installer Solex parmi les acteurs majeurs de la mobilité électrique. Nous sommes en train d'inventer la mobilité de demain et nous étudions les évolutions au sein des foyers et dans les villes. Nous faisons du deux roues, mais nous pouvons aussi proposer du trois ou quatre roues pour des utilisations urbaines et de loisirs ", conclut-il.
Easybike
Conception et fabrication de vélos à assistance électrique
Paris (17e)
Grégory Trebaol, président, 42 ans
SAS > Création en 2005 > 77 collaborateurs
CA 2020 NC
En outre, en opposition à une accélération des innovations et de facto des biens de consommation, la tendance rétro permet d'une certaine façon d'arrêter le temps, selon Aurélie Vassy : " Face à l'obsolescence de la digitalisation, toucher, ressentir, porter... sont essentiels pour se reconnecter à ce qu'il y a de plus humain et de vrai. "
En effet, à l'aube de l'après-Covid, l'expérience sensorielle prend toute son importance. Début 2020, 44 % des Français se disaient nostalgiques du passé, selon une étude OpinionWay. Mais cette quête de sens n'est pas forcément sans conséquence : " Le risque est de massifier ces nouveaux usages alors que tous les consommateurs ne sont pas arrivés au bout de la démarche ou s'en détournent ", estime Emmanuelle de Mazières.
La surconsommation de vintage est ainsi tout aussi nuisible que celle de biens neufs. C'est alors toute une conception de l'acte d'achat qui est à repenser, selon Aurélie Vassy : " À partir du moment où un produit est créé, son utilité doit être repensée de façon collective. L'idée de passation et de préservation doit s'imposer pour que les objets perdurent dans le temps ", poursuit-elle. Quid de l'avenir ? " La croissance devrait être exponentielle et le marché continuera à se digitaliser, d'après la dirigeante de Shine a lot. Parallèlement, la seconde main reviendra en espaces physiques. Dans les cinq à dix ans à venir, il y aura une vraie complémentarité de la mode neuve et seconde main ramenée par la clientèle pour obtenir des crédits ou faire du troc. "
En effet, les systèmes de consigne - comme celui lancé par les jeans français 1083 - se multiplient dans le prêt-à-porter. La location d'objets et d'équipements du quotidien se développe également, via soit des prestataires soit des plateformes entre particuliers. Connue pour la diversité de son catalogue, La Redoute fait le choix, de son côté, de lancer fin 2020 La Reboucle, plateforme de seconde main entre particuliers positionnée sur le mobilier, la décoration et les vêtements. L'idée : conjuguer démarche responsable et pouvoir d'achat. Pour chaque article vendu, les clients choisissent ainsi un règlement en cash ou une e-carte cadeau abondée de 25 %.
Arme contre l'obsolescence programmée, levier économique ou écologique, l'offre vintage doit en définitive être, comme pour toute marchandise, de qualité, bien pensée et bien ciblée. Tous les consommateurs n'auront pas la même sensibilité à la dimension nostalgique du rétro, à son esthétique des décennies passées ou à la technicité d'un savoir-faire oublié. Mais la mode n'est-elle pas un éternel recommencement ? Les collectionneurs de vinyles le savent. Ne présageons de rien.
Quatre initiatives qui dépoussièrent le passé
Rétrogaming sur eBay
Pour les passionnés de rétrogaming, les plus belles pépites se dénichent dans les magasins japonais. Mais plus besoin de se rendre sur l'archipel, l'un des magasins les plus réputés vend désormais sur eBay.
Alphabet vintage
L'idée de Nicolas Flachot est aussi simple que géniale : récupérer les lettres d'anciennes enseignes commerciales pour décorer les intérieurs des particuliers ou des pros (hôtels, commerces, restaurants...). La demande vient même de l'étranger. À découvrir sur le compte Pinterest Kidimo
Cartes postales du nouveau monde
Alors qu'une grande majorité des écrits sont digitalisés, la carte postale paraît bien surannée. Mais le projet Les Cartes vitales a su adapter le format à l'époque pour venir en aide à la lutte contre la Covid. Le mouvement est lancé : deux à trois fois par an, des artistes sont invités à créer une série de cartes, les bénéfices des ventes étant reversées à une association.
K7 audio du futur
Véritable marché de niche, la k7 audio connaît une étonnante trajectoire. L'entreprise normande Mulann est l'une des dernières entreprises au monde à en fabriquer. Des artistes comme Indochine ou Lady Gaga ont sorti leur album sous ce format. Le culte des années 1980 et 1990 ne semble pas près de s'éteindre.