L'affacturage, arnaque ou bon plan pour les entreprises ?
Renforcer sa trésorerie, relancer ses clients, prévenir ses impayés... L'affacturage permet d'éviter les trous de trésorerie. Cette technique serait même la deuxième source de financement des entreprises. Reste que des défiances subsistent envers cet outil : sont-elles fondées ? Décryptage.
Je m'abonnePlus de 40 000 entreprises y ont recours chaque année en France. Il représente près de 118 milliards d'euros de factures cédées sur l'ensemble du premier semestre 2015. L'affacturage est devenu le deuxième moyen de financement bancaire court terme des entreprises, derrière le découvert bancaire. Selon les statistiques publiées en juillet 2015 par l'Association française des sociétés financières (ASF), qui regroupe 21 sociétés d'affacturage, le montant des créances prises en charge au cours des six premiers mois de l'année est en hausse de 8,5 % par rapport au premier semestre 2014.
" Les TPE dont le chiffre d'affaires est inférieur à 1,5 million d'euros représentent 54 % des clients des factors, soit 11 % de l'encours total des créances ", note Françoise Palle-Guillabert, déléguée générale de l'ASF. Un engouement qui reflète l'utilité du dispositif. Car en cédant une partie ou la totalité de ses créances à un organisme financier appelé "factor", l'entreprise récupère immédiatement l'avance de trésorerie nécessaire à son activité. Cette solution apparaît donc comme un moyen efficace de couvrir ses besoins en fonds de roulement quand les solutions traditionnelles de concours bancaires, à savoir les prêts et crédits, ne suffisent pas. Un outil qui permet par ailleurs aux gérants de se libérer des tâches administratives de recouvrement et de relance.
Un recours à l'affacturage pas toujours volontaire
Un mode de financement intéressant, certes, mais il serait subi par les dirigeants. Selon une étude de la CGPME publiée en juin 2015, 40 % des entreprises sondées confient ne pas avoir choisi ce mode de financement, mais plutôt avoir été " incitées essentiellement par leurs banques " . Des propos partagés et constatés sur le terrain par plusieurs experts. " Le banquier ne veut plus, pour des raisons prudentielles, prendre de risques pour garantir le développement des entreprises " , confie Bernard Cohen-Hadad, membre de l'Observatoire du financement des entreprises et président du think tank "Étienne Marcel", qui promeut l'entrepreneuriat responsable dans les TPE-PME.
Selon Rolland Nino, directeur général de BDO : " Les nouvelles règles de Bâle III imposent aux banques de renforcer leurs fonds propres. L'affacturage étant moins risqué et coûteux que le découvert, puisqu'il est garanti par des créances, les établissements financiers poussent les entreprises dans les bras de leurs filiales d'affacturage. "
Les banques affirment, de leur côté, apporter les solutions qu'elles estiment les plus avantageuses à leurs clients. Et qui ne dépendent pas des ratios de solvabilité. " Un contrat d'affacturage est proposé à l'issue d'un rendez-vous client, après avoir analysé l'évolution du besoin en fonds de roulement et les besoins de trésorerie de l'entreprise qui en découlent. L'objectif est toutefois de faire en sorte que cet outil de financement, avec ses services associés, ne soit pas plus coûteux qu'une autre solution court terme ", relève Isabelle Paris, responsable de l'offre et du développement commercial pour le réseau Caisse d'Épargne.
Ce dispositif est aussi bien " proposé à une jeune entreprise qui est amenée à développer son activité, qu'à un dirigeant qui souhaite financer son besoin en fonds de roulement ", précise Isabelle Paris. Tous les clients sont donc éligibles, sauf ceux qui présentent des créances en germe (qui ne correspondent pas à une prestation achevée), ce qui peut être le cas dans le secteur du BTP.
Un coût qui peut en cacher un autre
Si ce mode de financement soulève autant d'interrogations, c'est aussi parce qu'il coûte cher aux entreprises, notamment à celles qui présentent des risques. Pour s'en rendre compte, il faut décortiquer les contrats des factors, qui recèlent de nombreux frais cachés. En premier lieu, la commission d'affiliation qui est calculée sur la totalité des lignes négociées, comprise entre 0,1 et 2 % (cette différence étant due à la qualité du client qui a vendu ses factures et la qualité du portefeuille client). Il y a aussi la commission de financement, qui équivaut aux frais financiers Euribor 3 mois (0,08 % en décembre 2014) et au spread (entre 0,5 et 4 %).
"Certains contrats renferment une multitude de coûts cachés"
" La commission d'un bon client peut donc s'élever à 0,68 %. La facture d'une entreprise qui présente plus de difficultés financières peut atteindre 6,08 % " , estime le directeur général de BDO, Rolland Nino. D'autre part, Bernard Cohen-Hadad met en garde à propos du fait que " l'ensemble de ces coûts peuvent représenter de 7 à 15 % du montant des créances TTC cédées "
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Des tarifs qui varient donc en fonction du profil du client, mais aussi en fonction des sociétés d'affacturage. Selon Rolland Nino, qui s'est procuré une copie de plusieurs contrats, certains renferment une multitude de coûts cachés. " Certains barèmes font plus de deux pages et prévoient des frais pour recherches d'écritures avant trois mois, des envois en Chronopost, des contre-passations d'écritures, un abonnement à la signature électronique... Des tarifs qui avoisinent chacun une quinzaine d'euros. " Bernard Cohen-Hadad considère même que certains chefs d'entreprise seraient pris au piège. " Les dirigeants, et surtout les commerçants, qui ont majoritairement un seul partenaire financier, font confiance à leur banque. Lorsqu'ils se retrouvent dans une situation critique, ils ne négocient pas les taux car ils ont besoin d'argent urgemment " , constate-t-il.