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Textile : le local contre le low-cost

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Textile : le local contre le low-cost

Plongé dans la crise il y a quelques décennies, le textile français semble trouver une nouvelle jeunesse grâce aux nombreuses start-up qui font le pari de ce secteur. La raison ? Un engouement de plus en plus fort des consommateurs pour le made in France et les circuits courts.

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En 2017, le zoo de Beauval dans le Loir-et-Cher s'émeut de la naissance de Yuan Meng, un panda. L'image fait le tour des réseaux sociaux et inspire deux étudiants en train de plancher sur la création de leur start-up. Flavien Le Burel et Tom Dehem, passionnés de mode, veulent monter leur entreprise de t-shirts made in France et éco-responsables. Ils choisissent alors de baptiser leur marque "Le Panda Français", sorte de cadeau de naissance pour Yuan Meng. Le nom trouvé, reste à assurer la production de leur concept. Et c'est une autre paire de manches. Les deux comparses sillonnent la France à la recherche de l'industriel qui pourra répondre à leur cahier des charges.

"Nous sélectionnons nos fournisseurs sur leur capacité à produire des petites quantités, précise Flavien Le Burel. Nous veillons aussi à ce qu'ils proposent de bonnes conditions de travail, en accord avec les obligations de RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises). Au moins, le fait de créer en France permet d'être plus confiants quant aux normes sociales."Au final, une première collection homme sort en septembre 2018, suivie d'une collection femme deux mois plus tard. Une gamme de maillots de bain doit voir le jour à l'été 2019.

Un Hexagone au service de la petite entreprise

Basés à Bordeaux, Flavien Le Burel et Tom Dehem font appel à la société Malterre, à Amiens, pour extraire le coton biodégradable qui compose leurs t-shirts. Les écussons brodés dont ils sont dotés proviennent, eux, de Nice. Le tout est assemblé dans l'atelier de confection basé à Paris. Actuellement, le Panda Français enregistre deux ventes par jour et se réapprovisionne auprès de ses fournisseurs environ tous les deux ou trois mois. Une boutique est ouverte à Bordeaux et une autre le sera bientôt à Paris, mais la structure actuelle de la jeune pousse ne lui permet pas de commander en grosses quantités. Petit Panda peut-il grandir ? "C'est un pari risqué, mais nous croyons en notre démarche", assure Flavien le Burel.

Depuis des décennies, le textile tricolore semblait sinistré, après avoir subi de plein fouet la recherche d'une production à moindre coût, à grand renfort de délocalisations et de concurrence du marché asiatique, entre autres. La démarche du Panda Français peut donc surprendre. Pourtant, elle est loin d'être unique.

Paul de Montclos est président du label France Terre Textile. Il dirige aussi Garnier-Thiebaut, une PME de 220 salariés spécialisée dans le linge de table pour les professionnels et créée... en 1833. Le patron est contacté tous les jours par de jeunes entrepreneurs qui cherchent un sous-traitant pour lancer leur marque. "Il y a un marché très jeune porté par des start-up, confirme Paul de Montclos. Les notions de circuits courts et de protection de l'environnement amènent beaucoup d'entrepreneurs à solliciter les industriels historiques." L'écueil ? Une inadéquation entre les (maigres) besoins des start-up et la réalité industrielle. "Nous ne sommes pas des artisans. Nous recevons des demandes ridiculement petites, car ces structures doivent faire face à des limites en termes de coûts ou de stocks", poursuit Paul de Montclos, depuis son usine des Vosges.

A 200 km de là, près de Troyes, Benoit Seguin rencontre la même problématique. A la tête du Groupe Tismail qui a fait de la sous-traitance de chaussette sa spécialité depuis 1961, il doit répondre aux demandes des start-up au minimum trois fois par semaine. "La chaussette, avant, c'était ringard. Aujourd'hui, c'est un accessoire de mode. Beaucoup de nouvelles boites font appel à nous pour sous-traiter. Le problème est que de nombreuses marques se créent, mais le parc industriel, lui, n'augmente pas", épingle Benoit Seguin. Son entreprise a aussi beaucoup tremblé il y a quelques années. Lorsque le coût des matières premières l'oblige à augmenter de 2 centimes le prix des chaussettes qu'elle revend en MDD (Marque De Distributeur), son client le plus fidèle la lâche. Le dirigeant comprend qu'il doit trouver un nouveau produit pour s'en sortir. Il choisit de se tourner vers la chaussette haut-de-gamme, en insistant sur sa fabrication 100 % française. Sa nouvelle marque, LCF, La Chaussette Française, est née.

La PME modernise son parc industriel pour pouvoir développer cette nouvelle gamme. Elle fait progressivement l'acquisition d'une quinzaine de machines à 40 000 euros. Soit un investissement de 600 000 euros, qui lui permet de produire 10 000 chaussettes estampillées LCF par jour. Aujourd'hui, le Groupe Tismail compte 48 salariés, mais il arrive à un palier qu'il ne peut pas dépasser. Pour Benoit Seguin, les PME ne peuvent porter toute une filière à elles seules. "Il faudrait que les acteurs majeurs jouent davantage le jeu du made in France pour nous aider, nous PME du secteur, à croitre et à grandir. Il suffit de 5 % de produits manufacturés pour relancer toute une filière et cela passe par de grandes enseignes qui doivent relocaliser une partie de leur production", déclare-t-il.

Des t-shirts ultra-connectés

Alors peut-on dire que le textile français se tisse un avenir radieux ? Les consommateurs, de plus en plus en quête de sens dans leurs achats, veulent savoir où sont fabriqués les produits. Pour cela, des labels fleurissentun peu partout en France pour certifier l'origine des tissus et promouvoir le savoir-faire local. Le premier d'entre eux, " Vosges Terre Textile ", est une sorte d'AOC industrielle qui a essaimé à d'autres régions, emblématiques du textile en France, comme l'Alsace, le Nord, la Champagne-Ardenne ou les Rhône-Alpes. France Terre Textile regroupe ces labels et coordonne l'ensemble des actions à travers les régions. "On sent bien qu'on est dans un monde changeant, où on remet en cause un ultralibéralisme et certains avantages douaniers (à l'instar du Pakistan qui bénéficie d'une exonération de taxes en Europe depuis des années). Au final, la tendance est à la revalorisation de certains métiers, favorisant ainsi la reconquête industrielle en France", poursuit Paul de Montclos.

Pour le président de France Terre Textile, l'atout de la filière réside également dans sa capacité à se moderniser. "La plupart des entreprises ont doté leur outil industriel d'une productivité assistée et font un fort usage de l'informatique. Chez nous, il y a plus d'ordinateurs que de salariés ! L'usine du futur prend tout son sens avec le secteur du textile car c'est une filière qui innove beaucoup", assure-t-il. L'innovation se retrouve également dans la proposition de produits inédits, avec l'émergence de plus en plus importante de tissus dits techniques. Désormais, on parle même de " d-shirt ", un t-shirt digitalisé imaginé par la start-up tricolore Cityzen Sciences. Les fibres intègrent des capteurs qui permettent de remonter des données telles que la vitesse, la température ou l'hydratation. L'habit intègre même un GPS. "Tous les indicateurs sont au vert, résume Emmanuelle Butaud-Stubbs, déléguée générale de l'UIT (Union des Industries Textiles). D'ailleurs, pour la première fois depuis 40 ans, 2018 a été une année de création nette d'emplois dans le secteur. Cela est dû notamment aux tissus techniques qui peuvent apporter beaucoup au secteur. On peut donc envisager une renaissance durable, mais ce ne sont pas les start-up qui vont la financer." La solution selon elle résiderait dans les partenariats entre public et privé, plus précisément au niveau local.

Des investissements d'acteurs privés aussi sont nécessaires, auprès d'intervenants issus d'autres secteurs qui recherchent une diversification. L'effort doit être général pour assurer un avenir pérenne à la filière. "Le textile qui demeure se porte mieux, mais ça ne veut pas dire qu'il va bien, confirme Paul de Montclos. Les entreprises ont des projets, des savoir-faire, des équipes qui se battent, mais le moindre grain de sable peut ébranler le modèle économique, qui n'est pas complètement stable." Ces PME du textile doivent aussi retravailler leur image de marque, pour faire oublier cette mauvaise image de filière meurtrie aux yeux des candidats.

Séduire le consommateur c'est bien, mais attirer et fidéliser les nouvelles recrues qui feront tourner l'outil industriel, c'est encore mieux. "Disposer des bonnes compétences permettra de répondre dans la durée aux commandes. Cela va dans le sens d'une production industrielle plus efficace, plus rapide qui permet de servir au mieux cette demande de local", souligne Emmanuelle Butaud-Stubbs.

Dans sa région, le label Vosges Terre Textile annonce en mars 2019 que 150 postes sont à pourvoir dans les trois prochaines années. L'objectif ? Répondre aux remplacements des départs à la retraite, mais aussi se doter des compétences nécessaires liées à l'informatique et à une intégration plus poussée dans l'économie mondiale. A défaut de posséder un centre de formation local, les entreprises se chargeront elles-mêmes de former les nouvelles recrues. Un travail cousu main pour assurer l'avenir du secteur.

Témoignage

" Adopter des modes de distribution plus courts, c'est la clé de tout "

Thomas Huriez, gérant de 1083

C'est à Romans-sur-Isère (Drôme), la ville capitale de la chaussure qui a connu plusieurs vagues de délocalisations, que Thomas Huriez lance un pari osé : proposer le premier jeans 100 % français. " Je voulais créer une marque autour d'un produit très populaire, mais avec l'impact le plus vertueux possible tant sur les gens que sur l'environnement. Je voulais faire ma part pour relocaliser ", commente-t-il. En 2013 nait 1083. 1083, c'est l'équivalent de la distance qui sépare les deux villes à l'opposé en France, Menton (Côte d'Azur) et Porspoder (Finistère). Avec ce nom de marque, Thomas Huriez inscrit clairement son entreprise dans une démarche éthique, responsable et locale. L'idée plait : lors du financement participatif lancé en 2013 pour une durée de deux mois, il espère vendre 100 jeans. 1000 jeans en tout seront commandés.

" Pour que le Made in France soit compétitif, il faut retrouver des modèles de distribution plus raisonnables, qui apportent plus de marge. En fabriquant mes propres jeans, je réduis les intermédiaires. A la condition bien sûr de trouver le bon sous-traitant pour réaliser la production... " souligne Thomas Huriez. 1083 commence l'aventure avec un atelier de confection basé à Marseille. Un an plus tard, il aide Thomas Huriez à monter son propre atelier pour compléter sa production. Pour le tissage, c'est-à-dire la fabrication du denim, Thomas huriez se rapproche de deux tisseurs : les Tissages de Charlieu (Loire) et Valrupt Industries (Vosges). " Ils ont accepté de m'aider au démarrage du projet en produisant en petite quantité ", reconnait Thomas Huriez. En 2018, 1083 compte désormais 65 salariés. Et c'est elle qui donnera un coup de pouce à Valrupt Industries, placée en redressement judiciaire. 1083 intègre l'entreprise pour qu'elle ne ferme pas et la rebaptise Tissage de France " Chez 1083, nous avons réussi à remonter une filière complète. Maintenant, nous cherchons à devenir producteurs de coton. Le climat ne nous permet pas de faire pousser des champs de coton alors nous faisons avec celui que nous avons déjà en France...." ajoute Thomas Huriez. Pour cela, une solution : extraire le coton de vieux vêtements usagés. Pour Thomas Huriez, qui prévoit la sortie, en mai 2019, d'un jean issu de déchets plastiques, ce sont " la diversification, l'innovation et la proximité qui permettront au textile français de réussir. "

1083 / Modetic

Fabrication prêt-à-porter

Roman-sur-Isère (Drôme)

Thomas Huriez, gérant, 38 ans

SARL, 2013

65 salariés

CA 2019 prévisionnel : 8 M€


 
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