La levée de fonds n'est plus un passage obligé
La levée de fonds n'est pas toujours une étape obligatoire dans la croissance d'une start-up. De plus en plus d'entrepreneurs en font le constat et décident de se développer différemment grâce, entre autres, aux financements qui peuvent être générés par l'activité elle-même.
Je m'abonneL'année 2020 a permis aux start-up de la French Tech de battre un niveau record avec 5,4 milliards d'euros de fonds levés selon le baromètre EY du capital-risque en France. Une performance qui masque toutefois une baisse de 16 % du nombre d'opérations entre 2019 et 2020. Ce passage, considéré jusque-là comme un incontournable critère de réussite pour de nombreux entrepreneurs, ne serait-il plus une fin en soi ? De plus en plus de dirigeants semblent revoir leurs priorités et ne plus envisager forcément la levée de fonds comme un passage obligé.
Alexandre Berriche, CEO et co-fondateur de Fleet, société qui simplifie l'acquisition, la gestion et le renouvellement des ordinateurs pour les PME, a dès la création de sa société en 2019 été sollicité par plusieurs fonds d'investissement. Il a pourtant refusé, avec son associé Sevan Marian, ces différentes offres. " Nous aurions pu lever, comme les bons élèves, plusieurs millions d'euros très tôt. Cela nous aurait sûrement facilité la vie et apporté un certain confort, mais nous n'avions pas à ce moment-là un réel besoin de le faire. Ne pas lever nous a permis de nous concentrer sur l'amélioration de notre produit et la satisfaction de nos clients, explique le dirigeant de la société de 20 salariés, qui réalise trois millions d'euros de chiffre d'affaires et qui compte un peu plus de 300 clients. Pour faire entrer des fonds dans son capital, il faut donc un vrai besoin et un projet clair qui créera de la valeur pour l'entreprise et les investisseurs. "
La levée de fonds n'est donc pas nécessairement la clé de la réussite. L'objectif, c'est se concentrer sur l'essentiel, sur ses fondamentaux marketing et de faire ses preuves pour conquérir ses premiers clients et perdurer. " Lever des fonds pour lever des fonds n'est pas la bonne démarche, explique Régine Feraud, fondatrice en 2012 du cabinet Inno Fy, spécialisé dans la recherche de financement. Une levée de fonds trop prématurée ferait perdre au dirigeant une part significative de son capital. S'il décide de s'internationaliser et d'accélérer sa croissance quelques années après, il pourrait ainsi le regretter car il sera dans l'impossibilité de boucler un deuxième tour de table sans perdre le contrôle de son entreprise. "
Effets de levier
Il faut donc commencer par établir un plan stratégique, regarder quelle est la nature des besoins, que ce soit du matériel -des machines et des entrepôts-, de la R&D, du développement commercial, et de voir comment il est possible de les financer.
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Outre son apport personnel et le soutien qu'il peut recevoir de la part de sa famille ou de ses amis, l'entrepreneur doit apprendre à tirer profit des nombreux dispositifs de pré-amorçage pour favoriser les effets de levier. Plusieurs pistes sont à explorer : les fonds publics versés par les régions, par la Bourse French Tech de Bpifrance, pour financer les premières dépenses de son projet, les prêts d'honneur octroyés sans intérêt ni garantie personnelle. " L'écosystème est très dynamique en France. Nous avons bénéficié au tout début d'un prêt d'honneur de Réseau Entreprendre de 100 000 euros ainsi qu'une subvention de Bpifrance de 30 000 euros ", raconte Alexandre Berriche.
Valorisation
Les établissements bancaires sont également devenus des partenaires non négligeables. " Plusieurs dirigeants que j'ai pu accompagner avaient pour volonté de réaliser une levée de fonds, mais ils se sont aperçus qu'une partie de l'argent pouvait être mobilisée au travers de dette bancaire. C'est assez nouveau. Jusqu'à très peu, les banques ne finançaient que les investissements matériels. De nombreuses banques françaises ont depuis créé leurs propres offres pour soutenir et accompagner les start-up dès leur démarrage en accordant des prêts, qui cumulés avec d'autres financements, peuvent flirter avec le million d'euros. A condition toutefois d'avoir un beau projet innovant et un potentiel marché avéré ", confie Régine Feraud.
L'intérêt de financer avec du non-dilutif est ainsi de permettre à la start-up de construire ses actifs, de finaliser sa R&D, de commencer à livrer des clients et donc augmenter sa valorisation potentielle pour de futures levées de fonds. " Dès lors qu'une société est rentable et qu'elle dispose d'une clientèle fidèle, alors elle peut prétendre à la recherche de capitaux externes dans de meilleures conditions. Dans ce cas précis, la levée de fonds va permettre aux dirigeants d'accélérer à l'international. Une démarche qui demande beaucoup de cash ", assure la fondatrice du cabinet Inno Fy.
Ainsi, créée en 2009, Théodo, qui accompagne les grands groupes et les PME dans leur transformation numérique, a mis près de 10 ans avant de financer son développement par le biais d'une levée de fonds. Cela ne l'a pas empêchée d'enregistrer une croissance moyenne annuelle de ses revenus de l'ordre de 70%. Après avoir fonctionné sans investisseurs, Alexandre Berriche pourrait aussi recourir à des capitaux externes : " Si demain, nous nous associons avec un fonds, ce sera pour accélérer, pour aller à l'international par exemple. " En attendant, le cofondateur de Fleet préfère gérer sa start-up en bon père de famille.
Témoignage
" Une pression financière qui conduit à l'échec "
Guillaume Moubeche, CEO de Lemlist
Il n'est pas indispensable de lever des fonds pour se développer. C'est ce qu'a voulu prouver Guillaume Moubeche, CEO et cofondateur de Lemlist, spécialisé dans le mailing ciblé. Cet entrepreneur de 29 ans s'est lancé dans une levée de fonds pour au final dire " non " aux investisseurs. Un principal objectif à cette démarche : sensibiliser les entrepreneurs. " Je vois trop de personnes passer du temps à essayer de lever des fonds alors qu'ils n'ont pas encore de clients. La réussite est justement d'apporter en premier lieu de la valeur à ses clients, explique Guillaume Moubeche, qui a créé en 2018 sa start-up avec 1000 euros de capital. Se lancer dans une levée de fonds n'est pas anodin. Les fonds attendent du rendement. Cette pression financière conduit à l'échec de 8 entreprises sur 10. On l'oublie trop souvent ". Il a ainsi refusé avec ses deux associés, François et Vianney Lecroart, deux offres. Une première d'un fonds de VC de 20 millions d'euros, qui aurait valorisé sa société 100 millions d'euros. Et une seconde plus folle d'un fonds de private equity de 30 millions de dollars. Un choix pas si évident à prendre. " Nous aurions pu avoir 5 millions de dollars sur chacun de nos comptes bancaires. Mes associés fondent leur famille. Cela aurait pu changer le cours de nos vies ", reconnaît le dirigeant. La start-up qui réalise 500% de croissance par an a pour ambition de devenir une licorne sans avoir eu à lever un euro, en gardant comme seule source de financement l'argent de ses clients.
Lemlist
Solutions de mailings
Lille (Nord)
Guillaume Moubeche, président, 29 ans, François Lecroart, directeur général, 38 ans, Vianney Lecroart, directeur général, 45 ans
SAS > Création en 2018 >35 salariés
CA 2020 : 4 M€