Airbnb : née pendant une crise, à genou pendant une autre. Saura-t-elle se relever ?
La plateforme, qui a révolutionné en quelques années le tourisme et malmené le secteur de l'hôtellerie partout dans le monde, semble être en mauvaise posture pour aborder le "jour d'après". Mais elle a tout de même des atouts pour tourner la situation à son avantage.
Je m'abonneÉvaluée à près de 40 milliards de dollars sur des transactions secondaires en 2019, Airbnb subit de plein fouet les impacts de la crise due au Covid-19 comme tous les acteurs du tourisme. Sa valorisation a fondu en quelques semaines pour atteindre 18 milliards de dollars lors de sa récente levée de fonds. De quoi compromettre davantage l'entrée en bourse qui était sérieusement envisagée pour cette année.
Plus préoccupante est la situation financière des "hôtes" qui proposent leurs biens sur la plateforme. Quand certains l'utilisaient comme un complément de salaire, d'autres en ont fait leur unique source de revenus voire un business à part entière en proposant plusieurs propriétés. "18% des annonces publiées à Paris provient de "multi-loueurs" dont certains proposent entre 50 et 139 annonces. Mais cette proportion dépasse les 50% dans les villes hautement touristiques comme Carcassonne et atteint 70% dans certaines stations de ski" (Alet, 2018).
Le flux principal de revenus de la plateforme provient des frais de service prélevés sur les réservations. Aujourd'hui, la plupart des logements sont vides. Airbnb estime à ce stade une perte de chiffres d'affaires de 54% par rapport à 2019 et plus de 105 000 appels et e-mails ont été adressés à fin mars par des hôtes américains aux membres du Congrès pour obtenir des aides financières.
L'urgence : soutenir les hôtes et limiter les dégâts quant à leur satisfaction
Alors qu'elle a permis aux voyageurs d'annuler sans frais leurs réservations entre le 14 mars et le 31 mai, Airbnb a débloqué 250 millions de dollars afin d'atténuer la colère et les pertes des hôtes en les indemnisant à hauteur de 25% du montant qu'ils auraient dû toucher sur les réservations annulées.
Certains hôtes craignent que ce ne soit pas suffisant car l'indemnisation dépend de la politique d'annulation choisie par l'hôte :
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- si un hôte a choisi une politique 'stricte' qui lui permettait de récupérer 50% sur une réservation annulée plus de 7 jours avant l'arrivée, il percevra une indemnisation à hauteur de 12,5%
- un hôte avec une politique 'flexible' ne percevra rien au titre des réservations annulées plus de 24 heures avant l'arrivée.
Bien qu'Airbnb prône la flexibilité auprès de ses hôtes, environ 60% des annonces sur le site ont heureusement une politique d'annulation stricte et seulement 3% des hôtes expérimentés ont choisi l'option flexible. Ceci limitera quelque peu le volume de réservations non indemnisées.
Airbnb a également prévu d'autres mesures à destination des hôtes, comme permettre aux utilisateurs d'envoyer des dons aux hôtes qui les ont logés ou un fonds de 10 millions de dollars spécifique pour les assidus et très bien notés - les "super-hôtes" - afin de couvrir leurs échéances de prêts ou de charges en cas de difficultés.
Un nouveau modèle au tournant ?
Les experts du tourisme concèdent en majorité que la reprise sera longue. Lufthansa a déclaré que "plusieurs mois seront nécessaires pour la levée totale des restrictions de voyage et plusieurs années pour que la demande mondiale en transport aérien retrouve le niveau d'avant la crise." Il est pressenti que les voyageurs privilégieront les destinations rurales, régionales ou nationales, moins fréquentées et seront attentifs aux moyens mis en oeuvre pour assurer la propreté. Un point faible pour Airbnb qui, contrairement aux hôteliers, ne peut certifier des procédures de nettoyage de tous les logements listés.
Par conséquent, plusieurs propriétaires qui ont senti le vent tourner ont déjà commencé à lister leurs biens en locations longue durée, et Airbnb prend également le virage. Une nouvelle qui ne ravira sûrement pas les gestionnaires immobiliers même si la plateforme pourrait constituer une marketplace. La page d'accueil du site a été mise à jour pour mettre en évidence les séjours de plus d'un mois. D'après Airbnb, 80% des hôtes acceptent ce type de séjours et plus de la moitié des annonces permettent de bénéficier de réductions pour ces réservations.
Pour lui permettre de traverser la tempête et planifier sur le long terme, la plateforme a déjà réduit son budget marketing de 800 millions de dollars et continue d'étoffer sa trésorerie qui atteint 4 milliards de dollars suite à la levée de 1 milliard auprès de deux fonds d'investissement. Les termes de l'opération sont confidentiels, mais Reuters rapporte qu'Airbnb paiera entre 11 et 12% d'intérêts cette dette à 5 ans et a également octroyé des warrants qui pourront être convertis en actions équivalents à 1% de ses capitaux propres.
Bien que ces termes ne semblent pas avantageux pour Airbnb, la transaction reflète la confiance des investisseurs en sa capacité à se relever et prospérer dans le futur. Toujours d'après Reuters, Airbnb serait en pourparlers avec des banques pour une ligne de crédit supplémentaire pouvant atteindre 1 milliard de dollars.
En effet, Airbnb dispose d'une marque forte, d'une large communauté, d'un site facile à utiliser même pour des retraités, et d'une position sur le marché prometteur du voyage de luxe depuis l'acquisition de Luxury Retreats. La plateforme reste à l'affût des nouveaux comportements de voyage comme la tendance des séjours expérientiels avec le lancement d'Airbnb Experiences. Ces expériences ont pu être transposées en ligne actuellement. Airbnb n'hésite pas non plus à innover en matière de marketing : quelques internautes ont pu passer fin 2019 des nuits magiques dans des lieux insolites comme les Catacombes, l'Aquarium de Paris, le Louvre ou les Galeries Lafayette.
Airbnb a vu le jour en 2008, la crise actuelle est la première épreuve majeure par laquelle passe la plateforme. Egon Durban, codirecteur général de Silver Lake, fonds d'investissement spécialisé qui a pris part à la levée de fonds, a déclaré que " bien que l'environnement actuel soit clairement difficile pour l'industrie hôtelière, le désir de voyager et de vivre des expériences authentiques est fondamental et durable. Le modèle économique diversifié, mondial et résilient d'Airbnb est particulièrement bien placé pour prospérer quand le monde sera inévitablement rétabli et que nous pourrons tous sortir pour en profiter. "
En attendant la reprise et à la demande du ministre chargé de la Ville et du Logement, la plateforme encourage les hôtes à proposer gracieusement leur logement au personnel soignant et aux travailleurs sociaux contre un dédommagement de 50 euros par réservation au titre des frais de ménage. Un autre moyen d'avoir bonne presse en ces temps tourmentés !
Pour en savoir plus
Diplômée d'un Master en Management SI et Technologies à HEC Paris, Amal Benali est consultante en management chez Square depuis 1 an.