[Echec et mat] Levée de fonds : savoir surmonter les a priori
Julie Boucon et Stéphanie Bourgeois sont entrepreneures et mamans. Deux qualificatifs qui, pour de nombreux investisseurs, peuvent difficilement cohabiter. Après s'être heurtées à un mur lors de leur première levée de fonds, les deux femmes ont réussi à mener avec brio le développement de leur application Howly Owly, destinée à l'apprentissage de l'anglais par les enfants.
Je m'abonneLe contexte
Apprendre l'anglais aux enfants
En 2015, Stéphanie Bourgois, directrice achats et de retour en France après une mission d'un an en Chine, cherche à maintenir le niveau d'anglais acquis par ses enfants durant cette expatriation. Aucune solution sur le marché ne lui parait efficace. Avec sa soeur, Julie Boucon, diplômée en marketing et communication, également maman et comme elle passionnée des sujets d'éducation, elle décide alors de se lancer dans l'aventure entrepreneuriale avec Howly Owly. "Nous avons commencé par créer une école d'anglais en nous appuyant sur des professeurs et des experts en linguistique. Nous avons expérimenté notre méthode auprès d'une dizaine d'enfants", se souvient Julie Boucon.
Finalement, le concept aboutit en 2017 après 3 ans de R&D : soit une application destinée aux enfants de 3 à 12 ans pour leur apprendre l'anglais en moins de 5 minutes de travail par jour.
Le fait
Une première levée de fonds laborieuse
Pour accélérer leur développement, les deux entrepreneures doivent rapidement opérer une levée de fonds de 450 000 euros en equity (900 000 en effet de levier). Celle-ci, laborieuse, n'aboutira finalement qu'en 2019. "Cette levée de fonds a été difficile et a provoqué chez nous une vraie prise de conscience sur l'état des inégalités qui règnent encore dans notre pays. On nous interrogeait presque systématiquement sur notre organisation familiale...", raconte Julie Boucon, détaillant un événement particulièrement marquant de ce process. "Avec un investisseur, nous étions allées très loin dans les discussions. Il nous avait beaucoup challengées sur les différentes étapes à franchir pour démontrer la pertinence de notre modèle. Il ne manquait plus que le vote final du board (8 personnes), qui devait se faire à l'unanimité. Nous n'avons pas obtenu les financements. Pourquoi? Pas parce qu'ils jugeaient que notre modèle n'était pas bon, mais parce que nos maris n'avaient pas investi dans notre entreprise !".
Deux ans plus tard, les cofondatrices de Howly Owly s'en indignent encore : "lorsqu'il s'agit de créateurs d'entreprise masculins, les investisseurs ne leur demandent même pas s'ils sont mariés !"
Le rebond
Une médiatisation efficace
Furieuse de cette réponse injuste, avouée piteusement par la personne en charge de leur dossier pour le fonds d'investissement en question, Stéphanie Bourgeois interpelle alors sur les réseaux sociaux le journaliste Stéphane Soumier (B Smart TV). Quelques minutes plus tard, celui-ci l'invite à témoigner sur son plateau. "Cette médiatisation a tout débloqué. Ce passage a attiré l'attention d'investisseurs qui nous ont rapidement contactées." Et notamment Chantal Baudron, dont la voix porte dans les milieux de l'investissement financier. "Cette solidarité féminine a porté ses fruits. Même si elle a mis un petit ticket, Chantal Baudron a permis de déclencher le feu vert de deux fonds d'investissement."
Grâce à cette levée de fonds, les entrepreneures lancent, en septembre 2020, la V2 de l'application Howly Owly. La start-up enregistre alors une croissance de 280% en un an et compte désormais 15 salariés. 15 000 familles sont abonnées à l'appli. Le plan de marche prévoit une montée en charge progressive pour atteindre, en 2023, le cap des 200 000 familles abonnées payantes.
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Depuis
Une nouvelle levée de fonds en préparation
Pour financer cette accélération et porter un déploiement à l'international avec 3 nouvelles langues disponibles (français, espagnol et chinois), Julie Boucon et Stéphanie Bourgeois préparent actuellement un deuxième tour de table. Objectif : 4 à 5 millions dont 3,5 en equity. "Je pense que nous n'aurons plus à répondre sur les questions relatives aux enfants et à la famille. En revanche, nous sommes conscientes que ce sera très difficile. Depuis 2018, seuls 2% des fonds levés par les start-up l'ont été par des femmes, alors qu'elles représentent aujourd'hui 40% des créateurs d'entreprises."
Pour faire bouger les lignes, les deux soeurs se sont engagées dans le collectif Sista qui s'est fixé comme mission de réduire les inégalités de financement entre femmes et hommes entrepreneurs. "Les difficultés liées à la première levée de fonds nous ont beaucoup appris", sourit finalement Julie Boucon.
Leur conseil
" Les femmes chefs d'entreprise doivent travailler sur le fameux syndrome de l'imposteur. Nous raisonnons en général beaucoup trop modestement. Et puis, il ne faut pas hésiter à s'appuyer sur la solidarité féminine."