Avec ou sans salle, quel avenir pour la restauration ?
Privés de service en salle pendant plus d'un an, les professionnels du secteur se sont orientés vers d'autres modèles. Certains sont connus, d'autres sont plus novateurs comme le concept de dark kitchen, qui dessine les contours du food business de demain.
Je m'abonnePlus digital, en phase avec les modes de consommation actuels, davantage responsable aussi : le secteur de la restauration doit repenser ses modèles et ses formats. L'établissement traditionnel survivra, mais le contexte économique et sanitaire pousse les professionnels à voir plus loin que leur grappe de tables en salle ou en terrasse.
En effet, les perfusions d'aides gouvernementales s'apprêtent à cesser, d'autres crises peuvent survenir et, pour beaucoup, la passion du métier demeure un moteur puissant. Tout type de repas doit désormais pouvoir être livré, emporté et consommé au bon vouloir du client. Le cabinet de conseil Food Service Vision estime qu'en 2024 la part de chiffre d'affaires réalisée par la livraison à domicile et la vente à emporter serait de 19 %.
Aussi, de nouveaux modèles éclosent et, à l'écosystème historique, s'ajoutent de nouveaux entrants et partenaires.
Digital tout puissant
Pendant plus d'un an, impossible de faire sans la digitalisation, le click-and-collect et les plateformes de livraison... " C'est un mouvement de fond qui s'installe et ne s'arrêtera pas avec la Covid, indique Béatrice Gravier, directrice de la division Hospitality & Food du salon EquipHotel(1). Les restaurateurs seront amenés de plus en plus à revoir leurs façons de travailler et à établir un mix. "
Le groupe Byzance qui inclut les comptoirs Bellotta-Bellota l'a bien compris : " Nous sommes allés dans la digitalisation à marche forcée, mais le contexte n'a fait qu'accélérer un sujet de fond ", estime Mickaël Piffard-Besnard, P-dg du groupe. La stratégie à adopter est alors claire : recruter, faire appel aux services de web designers, de développeurs ou encore d'un community manager et définir les modes opératoires avec les pure-players de livraison sélectionnés. " Nous avons fait en un an ce que nous aurions fait en trois si nous n'y avions pas été obligés. " Mais cet accomplissement n'est pas sans conséquences : " En faisant appel à des intermédiaires, nous nous retrouvons amputés de 25-30 % de la marge sur nos cartes historiques, car ce sont des acteurs gourmands en termes de commissionnement ", poursuit-il.
Dark kitchen
Sans avoir attendu la crise, certains se sont emparés du digital avec encore plus de détermination et d'agilité, à travers le concept de " dark kitchen ", soit des cuisines sans salle dédiées à la livraison. Avec Not So Dark, start-up qui vient de lever 20 millions d'euros et spécialisée dans ces concepts de cuisines de l'ombre, Clément Benoît et Alexandre Haggai font partie de ceux-là. " Nous avons tout de suite réfléchi à comment intégrer la technologie dans ce projet, explique Clément Benoît. Nous avons donc créé un algorithme pour identifier les tendances et nous diriger sur la création de nos marques, un second pour analyser le potentiel de la verticale que nous souhaitons adresser, puis un outil pour être le plus rentable possible d'un point de vue opérationnel. " $
Le modèle lancé, Not So Dark se développe en franchise. Les avantages pour les candidats : un investissement moins risqué qu'un restaurant traditionnel, la possibilité de changer de marque si celle de départ ne fonctionne pas et une rentabilité maximisée grâce à la data fournie. Les prévisions donnent le tournis : 30 à 40 cuisines ouvertes (France, Belgique et Espagne), 5 à 7 millions d'euros de facturation mensuelle au second semestre 2021.
Chez Dévor, à l'activité de restaurants traditionnels, s'ajoute aussi des marques virtuelles dédiées à la livraison et exploitées en franchise. Les ambitions sont également fortes : 80 unités devraient composer le réseau d'ici 3 ans. Pour Jean Valfort, le fondateur, le modèle s'adresse avant tout à des entrepreneurs. " Il s'agit de retail de production à la demande, avec une importante difficulté de standardisation de la qualité et une problématique de personnel ", analyse-t-il. Comprendre que, comme dans la restauration traditionnelle, les effectifs sont souvent volatils et la concurrence est rude.
Livraison
Parallèlement, des acteurs comme Cooklane se positionnent sur la location d'espaces dédiés à la livraison. Dans cette lignée, les incontournables plateformes d'intermédiation profitent de leur notoriété pour développer leur concept de dark kitchens. Depuis 2018, Deliveroo déploie Deliveroo Editions en Île-de-France (Courbevoie, Saint-Ouen et Aubervilliers).
Pour les professionnels sélectionnés et volontaires (marques virtuelles ou qui ont pignon sur rue), l'intérêt n'est pas négligeable : en plus de toucher de nouveaux secteurs géographiques, cela ne représente aucun investissement. Deliveroo fournit un site clé en main avec le gros équipement, sans versement de loyer. En contrepartie, la commission est plus élevée pour couvrir les frais engagés (immobilier, énergie, zone commune de plonge...). Charge aux restaurateurs de s'occuper du petit électroménager et de leur brigade.
Quant au choix d'implantation et au " casting " des sites, la logique est simple : " Nous identifions les endroits où il existe une lacune d'offres, explique Damien Steffan, porte-parole de Deliveroo France. Et nous nous adressons le plus souvent à des marques emblématiques qui fonctionnent déjà bien avec nous et qui ont fait leurs preuves. " De gré à gré, le contrat est borné dans le temps et peut être reconduit. Des objectifs sont fixés avec chacun des opérateurs. Pour les y aider, Deliveroo peut accompagner la démarche sur la définition et les items du menu, les horaires d'ouverture, la pertinence de créer une marque virtuelle complémentaire...
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Quatre acteurs audacieux du food business
Livraison à vélo
À Nantes, la coopérative Naofood est une plateforme qui couvre un réseau restreint de restaurateurs approvisionnés en produits frais et locaux. Les livreurs, qui ne circulent qu'à vélo, sont tous associés et 2 % des bénéfices sont reversés à différentes associations.
Vaisselle comestible
Avec Do Eat, ne plus en laisser une miette n'est plus qu'une expression. La gamme de contenants de cette start-up belge sont entièrement compostables et comestibles. Une façon ludique et plaisante de faire réagir sur la gestion des déchets.
Emballage durable
La start-up Uzaje propose des contenants réutilisables aux acteurs de l'alimentation (restaurateurs, industriels et distributeurs). En février 2021, elle a inauguré en Seine-Saint-Denis son premier centre de lavage industriel dédié. Objectif : laver 40 millions de contenants par an, évitant ainsi 3 300 tonnes de déchets. Sept autres centres sont prévus sur le territoire d'ici 2022.
Voyage culinaire
Difficile de voyager, mais c'est possible... à travers l'assiette. Tel est le parti pris du spécialiste de la foodtech Nestor qui élabore des menus avec les meilleurs chefs du monde entier. Un QR code, qui renvoie à la playlist Spotify dédiée, et une lingette, aux senteurs évoquant la destination, accompagnent le repas.
Côté opérationnel, la plateforme peut aussi concourir à optimiser les temps de préparation, car la promesse est la suivante : livrer en moyenne en moins de 30 minutes. Une réalité qui en appelle une autre : ces sites occasionnent des défilés de deux-roues motorisées. Alors quid des nuisances engendrées ? " Cela rentre en ligne de compte, indique le porte-parole. À Saint-Ouen, il a fallu modifier le mode opératoire. Nous avons retenu la leçon et il n'y a pas de riverains près de nos sites à Aubervilliers et Courbevoie. "
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Reste le débat qui oppose ces nouveaux modèles aux restaurants traditionnels, qui pointe notamment l'aspect qualitatif des offres souvent associées à la malbouffe. " La restauration livrée ne remplacera jamais la restauration en salle, affirme Damien Steffan. Ce n'est pas la même expérience en termes de convivialité. Mais Deliveroo est capable de proposer tout type de cuisines et nous avons aussi de la place pour la cuisine traditionnelle. "
Les chefs indépendants sont ainsi nombreux à adapter leurs cartes pour maintenir leur activité en livraison ou à emporter. Certains tentent d'autres expériences, à l'instar d'Olivier Nasti, chef du Chambard en Alsace : drive, épicerie, foodtruck, nuits gastronomiques à l'hôtel... " Cela nous a permis de rester en activité et de faire parler de nous ", confie-t-il.
Autre alternative, à Paris, avec Alan Geaam qui a su se réinventer avec Sâj, un concept street-food de galettes libanaises. " Avec un investissement minimal et peu de personnel, nous pouvons faire du chiffre d'affaires, assure-t-il. Nous travaillons même davantage dans ce petit local que dans mon restaurant étoilé ! "
Alors, comment envisageaient-ils le retour à la normal ? Pour beaucoup, le retour en arrière semble impossible. D'autant que l'épreuve s'avère riche d'enseignements. En effet, un des enjeux est d'ordre écologique. Après des mois de concertation, 19 acteurs du secteur ont signé en février 2021 une charte d'engagement avec le ministère de la Transition écologique, fixant des objectifs pour réduire les contenants et les emballages en plastique à usage unique, développer leur réemploi et mieux les recycler. À titre d'exemple, chez Byzance, un changement drastique des packagings a été fait pour atteindre plus de 95 % de produits recyclables.
D'autre part, nombreux estiment sortir plus forts de la crise. " Pour y faire face, il faut aborder tout l'éventail de problématiques : ressources humaines, gestion économique et investissements, concept et image de marque... " , commente Béatrice Gravier d'EquipHotel. L'occasion de rappeler que le restaurateur ne peut envisager l'avenir qu'en endossant le rôle de chef d'entreprise.
Témoignage
" Proposer une livraison meilleure que les autres ", Valentin Bauer, cofondateur de Tripletta
Pizza et livraison vont souvent de pair. Tripletta a donc fait le choix dès sa création en 2018 de proposer ce service. " Nous ne pensions pas que cela prendrait autant de place, témoigne Valentin Bauer, l'un des fondateurs. Mais nous nous sommes lancés en partant du principe que nous le ferions mieux que les autres et en nous donnant les moyens d'y parvenir. "
La demande représente dès l'année suivante 40 % de l'activité. Mais, quand la crise sanitaire force le groupe à fermer ses salles, la cadence s'accélère nettement côté livraison : +100 % en un an.
Si une partie des équipes bénéficie du chômage partiel, une autre est dirigée sur des unités de production différentes que les restaurants, à savoir une dark kitchen en propre à Vincennes (lancée après le premier confinement) et les cellules du géant de la livraison. Depuis 2018, Tripletta fait en effet partie du premier Deliveroo Edition. " Nous trouvions cela valorisant que Deliveroo vienne nous chercher, avoue Valentin Bauer. Si nous nous positionnions dès lors comme la pizza référente pour les Deliveroo Editions, nous nous sommes dit que nous pourrions les suivre dans leur développement. "
Pari réussi : l'association perdure, les zones de chalandise se multiplient au rythme des ouvertures des dark kitchens, la qualité reste au rendez-vous et la politique tarifaire ne bouge pas (le produit d'appel, la Margherita, est à 9 euros). Le bilan compte aussi 30 CDI créés en 2021. En outre, l'expansion se poursuit sur les deux modèles : trois ouvertures de restaurant sont prévues en 2021, ainsi que trois dark kitchens, à Lille, Paris et Marseille, en propre et en partenariat avec Deliveroo.
Tripletta
Pizzerias
Paris (20e)
Valentin Bauer, gérant, 39 ans
Création en 2016, SARL
150 collaborateurs
CA 2020 : NC