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Abandon de poste : les changements entrés en vigueur en avril 2023

Publié par Benoît Cazin le | Mis à jour le

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Les abandons de poste ont constitué en 2022 le premier motif de licenciement pour faute grave( 71% selon la Dares). Et des changements sont entrés en vigueur en avril 2023.

Après le licenciement pour abandon de poste, place à la démission présumée. Comment réagir si un salarié vous « ghoste » ?

La Grande Démission a bien lieu. En témoigne le mouvement de démissions massives qui touche la France (520 000 démissions par trimestre). Mais, à côté de la démission « franche », on trouve aussi le « ghosting », c'est-à-dire « l'abandon de poste », ou encore le « quiet quitting » (le salarié s'en tient au strict minimum) venant de salariés ne souhaitant pas prendre l'initiative d'une démission afin de ne pas être privés du bénéfice des indemnités chômage. En créant la démission présumée, les pouvoirs publics ont tenté de limiter l'impact du phénomène sur les comptes du régime d'assurance-chômage.

Jusqu'ici, lorsqu'un salarié abandonnait son poste, l'employeur n'avait pas d'autre choix que de prononcer un licenciement pour faute grave lequel, si l'employeur n'avait pas à supporter d'indemnités de départ, permettait en revanche au salarié de bénéficier d'une allocation chômage.

La démission présumée : un nouveau mode de rupture du contrat de travail

Depuis le 19 avril 2023, s'applique la nouvelle procédure permettant de présumer la démission d'un salarié ayant « volontairement » abandonné son poste. Cette nouvelle procédure a été instituée par la loi « Marché du Travail » du 21 décembre 2022, mais il a fallu attendre le décret du 17 avril 2023 pour que ce dispositif entre en vigueur.

Le Ministère du Travail a, par ailleurs, publié un Questions-Réponses le 18 avril 2023 sur cette procédure. Ce questions/réponses (qui ne lie pas les juges) adopte une position discutable puisqu'il considère qu'en cas d'abandon de poste, l'employeur aurait pour seule alternative soit de conserver le salarié dans son poste (sans le rémunérer, dans la mesure où il ne travaille pas), soit d'appliquer la procédure de présomption de démission, mais sans pouvoir engager une procédure de licenciement pour abandon de poste.

Quelle procédure l'employeur doit-il mettre en oeuvre ?

Désormais, lorsqu'un salarié a abandonné son poste, son employeur peut se prévaloir d'une présomption de démission. L'employeur met alors en demeure son salarié, par lettre recommandée avec accusé de réception, ou (ce qui semble peu réaliste) par lettre remise en main propre contre décharge, de réintégrer son poste ou de fournir un justificatif valable à son absence dans un délai qui ne peut pas être inférieur à 15 jours calendaires.

Si, à l'issue du délai, le salarié ne répond pas ou ne reprend pas son poste sans fournir de motif légitime, il est alors présumé démissionnaire. Cette notion de démission présumée est ainsi contraire aux principes appliqués jusqu'alors selon lesquels la démission ne se présume pas : elle doit être claire et non équivoque.

En revanche, selon le décret du 17 avril 2023, il ne peut pas y avoir de présomption de démission si le salarié invoque, dans sa réponse à la mise en demeure, un motif légitime à savoir notamment des raisons médicales, le droit de retrait, le droit de grève, le refus d'exécuter une instruction contraire à une réglementation, une modification du contrat de travail à l'initiative de l'employeur...

Enfin, le salarié pourra contester la rupture de son contrat de travail devant le Conseil de Prud'hommes. L'affaire sera alors directement portée devant le Bureau de jugement qui devra, selon les textes, statuer dans le délai d'un mois à compter de sa saisine.


La démission présumée : absence d'indemnités chômage

Auparavant, lorsqu'il faisait l'objet d'un licenciement pour faute en raison de son abandon de poste, le salarié pouvait percevoir les allocations chômage. Aujourd'hui, le salarié dont le contrat de travail aura été rompu dans le cadre de la démission présumée sera privé de l'assurance chômage.

Les salariés doivent ainsi désormais mesurer le risque de ne pas être pris en charge par Pôle Emploi à la suite de leur abandon de poste. Et c'est d'ailleurs ce qui a motivé l'instauration de la démission présumée : faire perdre tout intérêt aux salariés d'avoir recours à l'abandon de poste.

Une situation pas sans risque pour l'employeur

Pas sûr toutefois que l'employeur y gagne. En effet, l'abandon de poste ne résulte pas automatiquement de la volonté du salarié d'abuser du système. Il peut aussi être lié à des problèmes de satisfaction au travail voire même à des risques psycho-sociaux et à de la souffrance au travail. Or, si des salariés sont contraints de rester à leur poste, sauf à prendre le risque de ne pas bénéficier des indemnités de chômage, on peut douter de leur motivation, de la qualité de leur travail et de leur productivité.

Certains de ces salariés vont ainsi réclamer avec insistance auprès de leurs employeurs le bénéfice de la rupture conventionnelle de leur contrat de travail. D'autres, à n'en pas douter, vont donner à leur absence un caractère contentieux. Ils répondront qu'ils disposent d'un motif légitime en imputant l'abandon de poste à des manquements de leurs employeurs. Ces salariés invoqueront en effet - comme ils sont d'ailleurs invités à le faire par le décret du 17 avril 2023 - des manquements réels ou supposés à leur encontre (harcèlement, manquement à l'obligation de sécurité, non-paiement des heures supplémentaires...).

L'employeur se trouvera alors face à un dilemme : ou bien prendre le risque d'appliquer la présomption de démission avec le risque qu'en cas de contentieux, le juge considère le motif avancé par le salarié comme légitime, ou bien d'abord traiter les manquements invoqués par le salarié en abandon de poste et, si besoin, les régulariser. Il retrouvera ensuite, à condition de justifier d'un motif réel et sérieux de licenciement, la possibilité de rompre le contrat de travail dans le cadre d'un licenciement.

Benoît Cazin exerce une activité spécialisée entièrement dédiée au droit social. Avocat associé de Spring Legal, il intervient en conseil et en contentieux auprès d'une clientèle d'entreprises et d'organismes professionnels dans tous les domaines du droit du travail, des relations sociales et de la sécurité sociale. Il conseille et assiste les entreprises dans leurs projets, leurs développements et leurs transformations RH, leurs audits, leurs négociations et leurs formations. Rompu à la recherche de solutions négociées, dans le traitement des risques psychosociaux et dans la lutte contre les harcèlements, il accompagne également les entreprises dans le cadre des enquêtes internes que l'employeur doit diligenter lorsqu'une situation de souffrance a été identifiée.

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