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Comment éviter la requalification des contrats de prestation de services en contrats de travail ?

Publié par Anne Leleu-Eté du cabinet Ale Avocats le - mis à jour à

Avec les arrêts Take Eat Easy et Uber, le sujet de la requalification des contrats de prestation de services en contrats de travail a été remis sur le devant de la scène. Retour sur ce sujet et sur les précautions à prendre.

Le 28 novembre 2018, la Cour de cassation a jugé que la prestation accomplie par un livreur à vélo pour la Société Take Eat Easy relevait d'un contrat de travail. S'en est suivie, le 10 janvier 2019, la requalification en contrat de travail, par la Cour d'appel de Paris, de la relation entre un chauffeur et la société Uber.


Si les affaires récemment médiatisées concernaient des plates-formes de " mise en relation par voie électronique " (aussi appelées " plates-formes numériques "), la problématique juridique à l'origine de ces affaires concerne en réalité toutes les relations dans le cadre desquelles une société fait appel à un travailleur indépendant (1).

Ainsi, si vous avez régulièrement recours à des prestataires, il est peut-être temps de prendre quelques précautions.

La fin de la relation contractuelle : le moment clé

Vous avez contracté avec un travailleur indépendant et la relation contractuelle se passe bien. Vous n'anticipez pas, à ce stade, de risque de requalification.

Rien de plus normal : en matière de requalification de contrats de prestation de services, le moment où le risque devient le plus important est celui de la fin de la relation contractuelle.

Il s'agit du moment où le prestataire voit sa mission prendre fin sans pour autant bénéficier des indemnités de rupture comme un salarié et sans, peut-être, avoir anticipé la fin de la relation en recherchant d'autres clients. Naturellement, plus le prestataire se trouve dans une relation exclusive à l'égard de son cocontractant et plus le risque est grand.

D'autant que les enjeux financiers peuvent être significatifs.

Un enjeu financier important

Le prestataire a un double intérêt à demander la requalification de sa relation contractuelle en contrat de travail.

Etant considéré comme employé dans le cadre d'un contrat de travail depuis le début de la relation, le prestataire pourra bénéficier de l'ensemble des avantages et paiements afférents à cette qualité, que ce soit en matière de salaire minimum, congés payés, primes ou bonus applicables dans l'entreprise, participation / intéressement, etc. (sous réserve des règles relatives à la prescription).

Le prestataire profitera également de la requalification de la rupture de la relation en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les conséquences financières pour l'entreprise " employeur " sont là encore majeures, puisque cette dernière devra régler au prestataire devenu salarié :

  • Une indemnité légale ou conventionnelle de licenciement ;
  • Une indemnité compensatrice de préavis ;
  • Des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
  • Voire une indemnité pour travail dissimulé.
  • Pour l'entreprise " employeur ", le risque s'étend, en outre, à une régularisation par l'Urssaf sur les sommes versées au prestataire au cours des 5 dernières années.

    Les précautions à prendre pour limiter les risques

    Comme l'a rappelé la Cour d'appel de Paris le 4 juillet 2019, l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité, l'office du juge étant d'apprécier le faisceau d'indices qui lui est soumis pour dire si cette qualification peut être retenue.

    Pour trancher en faveur ou non d'une requalification, le juge doit vérifier si les 3 conditions nécessaires à l'existence d'un contrat de travail sont remplies : existence d'une prestation de travail, rémunération, lien de subordination entre les parties.

    Dans la situation qui nous intéresse, la difficulté porte en réalité uniquement sur l'existence d'un lien de subordination entre les parties, dès lors que l'existence d'une prestation de travail et d'une rémunération afférente ne peut être contestée. Le juge doit donc déterminer si l'entreprise cliente exerçait une autorité sur son prestataire et avait le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, de contrôler l'exécution de sa prestation, et de le sanctionner en cas manquement - la charge de la preuve incombant au demandeur.

    Afin de limiter le risque de constatation d'un lien de subordination avec un prestataire, quelques précautions peuvent être prises.

    S'assurer que le prestataire est immatriculé comme " indépendant "

    La première des précautions à prendre est de s'assurer que le prestataire est enregistré comme " indépendant " auprès du RCS. Si c'est le cas, il bénéficie alors d'une présomption de non-salariat et ce sera à lui de rapporter la preuve de l'état de subordination dans lequel il aurait réalisé la prestation.

    S'assurer que le prestataire exerce sa mission en toute indépendance

    De manière générale, le prestataire doit exercer sa mission en toute indépendance et se comporter comme tel : idéalement avoir plusieurs clients, réaliser ses propres opérations de communication via par exemple un site internet, ses propres cartes de visite, exercer dans ses propres locaux, utiliser ses propres outils et matériels, etc.

    Par ailleurs, le prestataire doit être libre dans la gestion et le suivi de sa prestation : dates et horaires d'intervention, périodes d'absences et congés, modalités d'exécution de la mission, etc. La clé est d'éviter son assimilation à des salariés de l'entreprise.

    Ainsi, quelle que soit la demande qui lui est faite, aucune contrainte ne doit être imposée au prestataire sous réserve, évidemment, des engagements pris dans le cadre du contrat de prestation de services qu'il a signé.

    Soigner la rédaction du contrat et le formalisme

    La rédaction du contrat de prestation de services doit faire l'objet d'une attention toute particulière.

    Outre les clauses habituelles d'un tel contrat, il convient d'être précis dans la description des travaux que le prestataire s'engage à réaliser afin de montrer ses compétences spécifiques. A l'évidence, il ne faut pas que les compétences proposées soient déjà existantes en interne.

    Ensuite, le contrat de prestation de services doit fixer le prix, qui est le plus souvent forfaitaire et fixé par prestation réalisée.

    Enfin, le processus de facturation est une étape à ne pas négliger. Idéalement, la prestation fera l'objet d'un devis, d'un bon de commande et d'une facturation précise, prestation par prestation.

    En savoir plus

    Anne Leleu-Eté du cabinet Ale Avocats est avocat en droit du travail et de la sécurité sociale. Elle conseille notamment des entreprises et des entrepreneurs individuels en matière de gestion du personnel et de représentants du personnel. Elle intervient sur des dossiers plus ponctuels tels que restructurations, audits, contrôles Urssaf, détachement/expatriation, sous-traitance, etc. Le cabinet assiste également ses clients en matière contentieuse.

    (1)Un statut des travailleurs des plates-formes numériques est en cours de discussion au Parlement dans le cadre du projet de Loi d'Orientation des Mobilités. Toutefois ce statut ne concernera pas les prestataires de services qui resteront soumis aux dispositions actuelles.

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