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Les entreprises françaises sont-elles sexistes ?

Publié par Julien Ruffet le - mis à jour à

L'inégalité salariale entre les sexes persiste. Selon la newsletter des Glorieuses sortie début novembre, les femmes gagnent 15,8 % de moins que leurs homologues masculins. Notre économie est-elle sexiste ?

Les femmes gagnent 15,8 % de moins que les hommes. Cela signifie qu'à partir du 4 novembre 2022 à 9 h 10, elles ont commencé à travailler gratuitement. Publiée dans la newsletter féministe, Les Glorieuses, fin octobre 2022, ce calcul se base sur des statistiques d'Eurostat. Si l'écart de rémunération est indéniable, le mode de mesure d'Eurostat est quant à lui discuté.

Les femmes sont surreprésentées dans les temps partiels et les métiers précaires

"Eurostat se base sur un calcul horaire. C'est donc une heure travaillée par une femme par rapport à une heure travaillée par un homme qui est mesuré, remarque Rachel Silvera, maîtresse de conférence à l'Université Paris Nanterre et spécialiste des questions d'égalité professionnelle. Il faudrait plutôt comparer l'ensemble des salaires féminins à l'ensemble des salaires masculins." Notons que ces calculs, publiés en 2022, se basent sur des chiffres de 2020.

Dans ce dessein, Eurostat ne prend pas en compte le temps de travail, ou les divers congés. Si ces points sont analysés, la proportion est encore plus forte... En se basant sur le taux horaire, nous remarquons que les femmes perçoivent une rémunération inférieure de 28,5 %. Pour Rachel Silvera, cette proportion se justifie avec les contrats à temps partiel et le travail précaire dans lesquels les femmes sont majoritaires. "Cette surreprésentation dans ces métiers n'est pas un choix. D'autre part, elles sont de plus en plus nombreuses à être cadre, mais en restant très absente des hautes rémunérations", ajoute-t-elle.

Si les femmes françaises gagnent 15,8 % de moins que les hommes, elles touchent donc 84,2 % de leur salaire. Un article de Libération citant l'Insee éclaire cette proportion : "68 % de l'écart provient du fait que les femmes et les hommes n'occupent pas les mêmes postes, c'est-à-dire une profession donnée au sein d'un établissement donné". À poste et entreprise égale, l'écart moyen du salaire en équivalent temps plein entre les femmes et les hommes se réduit à 5,3 % dans le secteur privé en 2017 selon l'Insee.

Autre constat, l'écart de rémunération augmenterait davantage à la retraite. Les femmes seraient cette fois-ci indemnisées 40,5 % de moins. Cela résiderait dans les différences de salaire et la durée de cotisation, selon un article du Monde publié le 3 juin 2021.


Un index pour plus d'égalité ?

Afin de faire face à ce phénomène, le ministère du Travail, du plein-emploi et de l'insertion a créé fin 2019 l'Index de l'égalité professionnelle. Mis en action à partir de 2020, il oblige toutes les entreprises de plus de 50 salariés à calculer et publier leur niveau d'égalité entre les sexes. Les indicateurs de l'Index permettent aux employeurs de faire leurs propres calculs. Il s'appuie sur la rémunération, les augmentations, les promotions... Si l'intention est bonne, la pratique ne se révèle pas vraiment pérenne.

"Les résultats de l'Index sont excellents. 98 % des entreprises ont une bonne note. Concernant les 2 % restants, elles n'ont pas calculé leur index dans les dates données, remarque Rachel Silvera. Aussi, les employeurs qui n'ont pas de bonnes proportions en interne peuvent sortir des radars en faussant les indicateurs..."

Nicole Degbo, fondatrice de La Cabrik (ndlr, société qui accompagne les transformations d'entreprises.) et chasseuse de têtes durant 16 ans, se désole elle aussi, du fonctionnement de l'initiative : "Nous remarquons qu'au sein de certaines entreprises, une seule femme est très bien payée, ce qui permet d'avoir un bon Index. Mais ça n'a aucun sens !"

La rémunération des entrepreneurs

Si la différence de salaire entre les sexes est marquée du côté des salariés, le constat est-il similaire chez les entrepreneurs ? "Pendant la Covid, les femmes qui ont créé leur entreprise ont eu tendance à moins se payer que leurs homologues masculins. 66 % des femmes ont cessé de se payer contre 55 % des hommes, témoigne Patricia Lexcellent, Déléguée Générale d'Initiative France. Notons que la faible rémunération des femmes dans le salariat n'est pas synonyme de reconversion vers l'entrepreneuriat".

Initiative France remarque que les femmes se mettent davantage de freins pour se lancer dans l'entrepreneuriat. "Les principales raisons résident dans l'illégitimité et l'absence de rôles modèles", analyse la Déléguée Générale. Lors du lancement d'un projet, Nicole Degbo, fondatrice de La Cabrik, remarque aussi qu'il est plus difficile pour une femme de lever des fonds.

"C'est comme si le congé maternité était une maladie"

Afin d'expliquer les disparités salariales, Nicole Degbo cite plusieurs raisons. "Il y a déjà l'inégalité de genre. Elle peut venir de la société et de la famille avec une misogynie qui affecte la place des femmes sur le marché du travail. Cela impacte directement leur ambition dès les études", explique-t-elle. À noter qu'avoir un enfant est perçu comme un frein au sein de beaucoup de sociétés. Nombre de femmes en viennent à culpabiliser lorsqu'elles annoncent une grossesse à leur manager. "Notre modèle culturel a fonctionné pendant trop longtemps comme si la grossesse était une maladie", affirme-t-elle.

Autre facteur, il arrive souvent qu'une femme ait une promotion sans augmentation de salaire. "L'argent est un sujet plus masculin et les deux sexes ne l'interprètent pas de la même manière. En tant que chasseur de têtes, j'ai revalorisé plusieurs fois les ambitions financières de femmes. Le salaire est souvent l'un des derniers points d'un entretien d'embauche lorsque la personne qui postule est de sexe féminin", confie-t-elle.

Créer des rôles modèles

Si les grilles de salaires permettent de garantir une certaine équité en entreprise, l'attribution des primes est, quant à elle, opaque. "Il se peut que les parts variables soient mieux négociées pour les hommes que pour les femmes, remarque Rachel Silvera. Les entreprises devraient augmenter la transparence sur l'attribution des primes".

Afin de faire face à ces inégalités, certains mettent en avant la pédagogie éducative et la création de rôles modèles. "Il faudrait des débats à l'école et à l'université sur le sujet. Concernant les modèles, cela vise à valoriser les carrières de femmes puissantes, comme Michelle Obama, Christine Lagarde ou Élisabeth Moreno. C'est le rôle de tout le monde de citer ces personnalités qui sont synonymes d'émancipation", s'exclame Nicole Degbo.

Une économie sexiste ?

Mais alors les entreprises françaises sont-elles sexistes ? "Je ne suis pas sûr que le sexisme soit central dans la rémunération. Mais le sujet a du mal à évoluer", confère Patricia Lexcellent. "La plupart des disparités de sexe s'expliquent par des discriminations indirectes. Ce n'est donc pas du sexisme ouvert. Cela est issu d'un outrage économique. Le temps partiel n'est pas proposé seulement aux femmes. Mais c'est souvent elles qui l'obtiennent. L'inégalité de revenu est également concernée par la non-mixité des emplois", annonce Rachel Silvera.

"Il faudrait plus de 100 ans pour arriver à une parité salariale. Je crains que la société s'accommode de cette situation. Et l'évolution a un coût pour les dirigeants", se désole-t-elle. Elle recommande avec plus d'optimisme la communication et le questionnement des fonctionnements existants. Les dirigeants doivent interroger leur politique de recrutement. Notons que l'égalité peut être une source de performance pour l'entreprise. "Il faut que la femme soit un homme comme les autres dans la tête du dirigeant", conclut Nicole Degbo. Si l'État a un rôle à jouer sur le sujet, les entreprises elles aussi sont actrices du changement, et ce, quelle que soit leur taille.