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L'ADN synthétique : nouvel eldorado de l'innovation ?

Publié par Céline Tridon le - mis à jour à

Créé à partir de réactions chimiques ou biologiques, l'ADN synthétique ouvre la voie à un nombre infini de possibilités, en biologie, pharmaceutique, agroalimentaire ou informatique. C'est pourquoi des start-up cherchent à en faciliter l'industrialisation.

Imaginez une viande végétale mais saignante, des arômes de pêche qui préservent les ressources naturelles, du cuir pour lequel aucun animal n'aura été tué... Imaginez un vaccin contre le cancer. Toutes ces perspectives ne relèvent plus de la science-fiction. Elles sont en phase de devenir une réalité accessible à tous, grâce à trois lettres : ADN. Non pas de l'ADN tel que trouvé dans notre corps, mais de l'ADN synthétique, autrement dit créé en laboratoire.

L'ADN synthétique est le nouvel enjeu des chercheurs de ce monde et de start-up qui voient en lui un matériau aux multiples facettes, qu'il faut pouvoir industrialiser pour le commercialiser. L'ADN synthétique permet en effet de recréer les molécules nécessaires à la conception de produits dans potentiellement tous les secteurs : biologie, pharmaceutique, cosmétique, agroalimentaire... Cette technologie favorisera la création de soins de santé avec la découverte et la production de nouveaux produits thérapeutiques. Elle accompagnera l'agriculture de manière plus efficace et durable. Elle permettra la production rentable et durable de produits chimiques industriels ou de matériaux tels que la soie d'araignée, le nylon, le caoutchouc, les parfums, les additifs alimentaires...

Bolt Threads utilise des racines de champignon pour fabriquer du cuir


La liste est loin d'être exhaustive et le champ des possibles est, lui, immense. À ce jour, la technologie qui permet la création d'ADN synthétique existe. Il s'agit donc d'un procédé bien réel, mais dont le principal écueil à son développement reste son coût, encore prohibitif. Construire artificiellement un brin d'ADN prend aussi beaucoup de temps. Simplifié à l'extrême, le processus s'explique ainsi : il faut ajouter chaque nucléotide (entendez par là une molécule organique qui est l'élément de base d'un acide nucléique tel que l'ADN) une par une grâce à des réactions chimiques.

"Aujourd'hui, ce sont des technologies qui sont essayées, mais dont le coût empêche toute application réelle. Il faut donc poursuivre le travail d'innovation à travers, notamment, des technologies de rupture. L'entreprise qui saura répondre à cette problématique de coût pourra se faire un nom sur le marché et, peut-être même, proposer des applications que nous n'imaginons pas encore à ce jour", souligne Jean-Christophe Dantonel, directeur du programme Santé Biotechnologie au sein du SGPI (Secrétariat Général Pour l'Investissement).

En résumé, l'entreprise qui saura créer de l'ADN de synthèse de manière industrielle pourra ensuite le revendre à des entreprises qui l'utiliseront pour leur activité. Une sorte d'entreprise de service, nouvelle génération. L'ADN synthétique deviendra une technologie peu coûteuse qui permettra de développer des marchés, à l'instar de l'intelligence artificielle. Ces deux mots sont aujourd'hui bien connus de tous, mais leurs différentes applications restent parfois obscures, y compris pour les chefs d'entreprise. Comme toute nouvelle technologie, il faudra un temps d'appréhension pour bien utiliser cette innovation.

Biologie ou chimie : à chacun son école

Pour l'heure, les acteurs qui planchent sur de l'ADN synthétique accessible sont encore peu nombreux. Parmi eux, une start-up californienne, Twist Bioscience, a mis au point une plaque en silicone permettant de produire un million de nucléotides. "Le coeur de notre plateforme est une technologie propriétaire qui est pionnière d'une nouvelle méthode de fabrication d'ADN synthétique, en "écrivant" de l'ADN sur une puce de silicium. Nous avons combiné cette technologie avec un logiciel propriétaire, une infrastructure commerciale évolutive et une plateforme de commerce électronique pour créer une plateforme technologique intégrée. Celle-ci nous permet d'atteindre des niveaux élevés de qualité, de précision, d'automatisation et de production à un coût nettement inférieur à nos concurrents ", présente Emily Leproust, la fondatrice de Twist Bioscience.

La dirigeante assure être en capacité de produire 45 000 gènes par mois, donc d'avoir industrialisé la production d'ADN synthétique. L'un de ses plus gros clients est la société de biotechnologie Gingko Bioworks, située à Boston. Elle conçoit, pour des entreprises, le code génétique des substances qu'elles souhaitent développer et les fait ensuite produire par Twist Bioscience.

La start-up d'Emily Leproust compte également parmi ses clients Microsoft, qui lui a acheté 10 millions de brins d'ADN en 2016, et a renouvelé sa demande l'année suivante. En effet, par définition, l'ADN est le support de l'information génétique. Il est donc fait pour stocker de l'information. Alors que l'humanité génère plus de données qu'elle n'est en capacité de les stocker, il faut une solution pour les archiver à bas coût et sur une longue période. Forcément, Microsoft veille au grain et suit donc de près les promesses de l'ADN synthétique : capacité de stockage surpuissante, pas de risque d'obsolescence, survie pérenne des données, consommation d'énergie moindre... Actuellement, Twist Bioscience se charge de convertir les données transmises par Microsoft sous forme de nucléotides. Ensemble, ils travaillent sur le stockage numérique de demain.

Toutefois, en matière d'ADN synthétique, le processus ne fait pas toujours l'unanimité. Déjà, parce que les méthodes peuvent être perfectibles. "Les procédés chimiques sont relativement simples et leurs rendements plutôt bons, de l'ordre de 99,5 %. Mais ce n'est pas du 100 % : il y a un risque d'erreur. Quand on place une des bases de l'ADN (A, C, T ou G), il y a une chance qu'elle ne soit pas incorporée. Dans le cadre de plusieurs répétitions, le problème devient grave. L'enjeu n'est pas tant de fabriquer de l'ADN synthétique, mais plutôt d'en fabriquer un morceau long sans erreur", souligne Vincent Croquette, chercheur au CNRS et physicien français, spécialiste de biophysique.

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