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Covid-19 : les dirigeants plus vulnérables face au burn-out

Publié par Stéphanie Gallo Triouleyre le - mis à jour à

Déstabilisés par la crise sanitaire, le nombre de patrons exposés au risque de burn-out explose. C'est le constat que dressent Olivier Torres, spécialiste de la santé des travailleurs non-salariés et Marc Binnié, président de l'Apesa (Aide Psychologique aux Entrepreneurs en Souffrance Aigue).

" Un peu comme dans le jeu colin-maillard, les dirigeants de petites et moyennes entreprises ont aujourd'hui l'impression de se débattre les yeux bandés dans un espace parsemé d'obstacles. " Sauf qu'on est aujourd'hui loin du jeu et que le contexte ne pousse pas vraiment aux rires enfantins. Ce constat est celui dressé par Olivier Torres, professeur d'économie des PME à l'Université de Montpellier et fondateur de l'observatoire Amarok spécialisé dans la santé des travailleurs non-salariés.

Il a mené en février dernier une enquête auprès de 1 065 patrons de petites et moyennes entreprises, afin d'évaluer l'impact de la crise sanitaire sur leur santé. Il a pu comparer les résultats avec les réponses obtenues en mars 2019 et en avril 2020 (lors du premier confinement), et le résultat est clair : la santé psychologique des chefs d'entreprise s'est détériorée.

Alors qu'ils étaient 2,89% à se dire en burn-out en mars 2019, ils sont significativement plus nombreux en ce début 2021 : 3,58%, soit près de 24% de plus qu'il y a deux ans. " En ce qui concerne les seuils d'alerte, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas en encore en burn-out mais qui présentent un risque élevé, le pourcentage est passé de 1,75% à 10,41%, s'alarme Olivier Torres. Nous sommes donc là sur des niveaux très élevés d'impact de la crise sur la santé psychologique des dirigeants. "

Syndrome de l'empêchement

Dans cette évolution inquiétante, l'expert pointe l'émergence d'un phénomène qu'il nomme " le syndrome de l'empêchement ". Celui-ci jouerait un rôle majeur dans la dégradation actuelle de la santé mentale des chefs d'entreprise. " Ils ont le sentiment d'être coincés, d'être impuissants. C'est vraiment propre aux dirigeants puisque je viens de mener la même enquête auprès d'un panel de salariés. Ils ont d'autres problématiques de santé mais ce sujet de l'empêchement ne semble pas les concerner ", affirme Olivier Torres.

Pourquoi cette spécificité ? " Les chefs d'entreprise représentent une population habituellement hyperactive à forte internalité. Ils ont plutôt l'habitude de penser qu'ils maîtrisent leur destin. Que s'ils réussissent, c'est grâce à leur talent et leur travail et que s'ils échouent, c'est de leur faute. Là, ils se trouvent dans une nouvelle situation à laquelle ils n'ont pas l'habitude d'être confrontés. L'Etat et le virus sont aux manettes de leur destin en quelque sorte, ce qui contrevient à l'essence même de l'esprit entrepreneurial. "

Détecter les signaux

Un constat douloureux dans lequel se retrouve parfaitement le Marseillais Christophe Barnier. Professeur de danse et dirigeant de la TPE Loca'Dance (plateforme de location d'espaces de danse), il avait réussi tant bien que mal à surmonter le premier confinement, malgré un arrêt total de ses activités. Le deuxième confinement lui a donné le coup de grâce. " L'annonce du couvre-feu (alors que la plupart de nos activités se tiennent en fin de journée), et de nouveau les mots du président sur les commerces non-essentiels, je n'ai pas pu y faire face : j'ai littéralement fondu en larmes ", raconte-t-il, revenant sur ces longues périodes d'incertitudes quant aux aides, aux protocoles sanitaires, aux possibilités d'ouverture pour les enfants etc. Un difficile chemin qui l'a amené, non pas au burn-out mais à une déprime sévère. " Des angoisses, du mal à dormir, l'inquiétude de ne pas pouvoir payer mes crédits immobiliers et de subvenir aux besoins de mes enfants, etc. ", souffle-t-il, confiant avoir pris la décision, tant qu'il était temps, de demander de l'aide auprès de l'Apesa (Aide Psychologique aux Entrepreneurs en Souffrance Aigue).

Cette association, créée en 2013, s'appuie sur un réseau de 3 000 " sentinelles " travaillant dans les Tribunaux de commerce ou les chambres consulaires par exemple et formées à la détection des signes avant-coureurs d'une détresse psychologique. Elle est également au coeur du dispositif mis en place en urgence au printemps dernier par le gouvernement avec une cellule d'écoute et de soutien psychologique réservée aux dirigeants d'entreprise. " Le manque de visibilité, les difficultés financières, l'impression de ne plus rien contrôler amènent de plus en plus de dirigeants vers la spirale des idées noires, du burn-out, des dépressions, souligne Marc Binnié, le président de l'association. Heureusement, la vigilance est de mise de la part de chacun, y compris des entrepreneurs envers d'autres entrepreneurs. "

Impact sur la reprise ?

Au-delà de l'aspect humain et individuel, le PMIste Olivier Torres pointe l'impact potentiellement néfaste de cette dégradation de l'état de santé psychologique des dirigeants sur la reprise. " La santé d'un patron de petite entreprise est primordiale pour la survie de celle-ci. Ce qui n'est pas le cas dans les grands groupes. "

Un constat d'autant plus ironique que dans l'étude réalisée par l'observatoire Amarok, les patrons de TPE et PME ont en réalité plus peur du dépôt de bilan que de contracter la Covid-19. Olivier Torres signale par ailleurs une dégradation de " la vigilance entrepreneuriale ", ce talent de l'entrepreneur pour transformer des informations en opportunités. " Ils sont noyés dans des informations anxiogènes et perdent de leurs capacités à entreprendre. Si j'avais un conseil pour eux : passez moins de temps à chercher des infos et remettez-vous en selle de ce qui fait le coeur de l'entrepreneuriat : la transformation des opportunités. Entreprendre, c'est bon pour la santé ! En tout cas, cela doit l'être. "

Question de priorités

C'est exactement ce à quoi s'est attelé Hervé Henry, dirigeant de la PME Siléane à Saint-Etienne (90 salariés, 8 millions d'euros de chiffre d'affaires). Une entreprise spécialisée dans la robotique et la vision industrielle qu'il avait créée en 2002. " Nous faisions 50% à l'export jusqu'ici mais tout s'est arrêté brutalement. Il a fallu serrer les boulons, trouver de nouveaux contrats, aller chercher de nouveaux clients. Pour finalement finir 2020 avec une baisse de 10% seulement. Mais cela n'a pas été simple, j'ai eu l'impression d'être au taquet de l'énergie disponible. Comme si je recréais mon entreprise finalement. A la recherche de la moindre ouverture, de la moindre opportunité. " Et de confier : " Heureusement, j'avais un exutoire, le sport, mais la période a été très intense ".

Le dirigeant a contracté le Covid il y a quelques semaines, avec plusieurs jours d'arrêt forcé, mais il reconnait que la question n'a pas été prioritaire dans la gestion de ses inquiétudes. " Je n'avais pas peur de la maladie, j'avais plutôt la crainte d'une chute d'activité. "

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