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Cédric O : "Je souhaite réduire la fracture numérique"

Publié par Céline Tridon le - mis à jour à

Pour le secrétaire d'État chargé du Numérique,la question de la diversité au sein de la French Tech est essentielle, tout comme celle de la lutte contre l'exclusion numérique. Alors que les start-up tricolores affichent une belle dynamique,13 millions de Français n'ont toujours pas accès à Internet.

Interview réalisée en mai 2020

En 2019, les start-up françaises ont levé 5 milliards d'euros : est-ce un écosystème qui se porte bien ?

Cédric O : 2019 a montré une très forte progression. En 2018, elles ont levé 3,6 milliards et 2,6 milliards en 2017. L'accélération est forte, puisque les investissements ont doublé en deux ans. Les levées supérieures à 50 millions d'euros ont quasiment doublé en un an. L'écosystème grossit et mûrit extrêmement vite. Bien sûr, nous ne sommes pas encore arrivés au bout du chemin.

Quel est l'impact de la crise sanitaire sur les start-up ?

Début mars, nous attendions la levée de 6 à 7 milliards d'euros en 2020. Nous étions en phase de faire mieux que les Allemands. L'objectif était de rattraper et dépasser les Anglais. Il est encore un peu tôt pour estimer l'impact de la crise. Toutefois, il a fallu aider les start-up à s'approprier les mesures mises en place et les adapter.

En quoi les start-up tirent-elles l'économie française ?

Aux États-Unis, numérique et start-up représentent entre un tiers et la moitié des créations d'emplois. En France, elles devaient en 2020 créer environ 25 000 emplois nets, soit presque 1 emploi sur 5.

Y a-t-il aussi un enjeu de souveraineté ?

Le monde est dominé par des entreprises comme Google, Facebook, Amazon, Alibaba qui sont nées durant les 20 dernières années. Pendant le confinement, le quotidien des Français et de leurs entreprises dépend largement des applis américaines. Si les Européens, en particulier les Français, ne sont pas capables de faire émerger leurs propres champions, alors nous serons inéluctablement dominés par les Américains et les Chinois...

Les start-up sont-elles aussi celles qui incitent à l'entrepreneuriat ?

Lorsque je suis sorti d'école de commerce il y a un peu plus de 10 ans, 99 % de mes camarades avaient prévu de rejoindre une grande entreprise, principalement dans la finance, le marketing ou le conseil. Aujourd'hui, ce n'est plus la même tendance, car il y a une plus forte proportion de jeunes diplômés qui veulent créer leur entreprise. La figure de l'entrepreneur a remplacé celle du manager ou du consultant.

Quels sont les principaux freins qui subsistent ?

Pourtant créatrices de valeur, les start-up françaises montrent des difficultés à recruter. Il manque 80 000 personnes dans le numérique. Ce chiffre pourrait monter à 200 000 en 2022. Nous devons donc former plus, mais aussi attirer davantage de talents de l'étranger. C'est d'ailleurs l'objectif du passeport French Tech Visa : faire en sorte que les start-up tricolores soient plus internationales. Dans leur main d'oeuvre et dans leur marché.

Cela rejoint-il donc le manque de diversité que l'on déplore parfois dans le numérique ?

La question de la diversité au sein de la French Tech est essentielle. Il faut que l'on progresse sur ce sujet. Le profil type de l'entrepreneur de start-up reste encore trop souvent celui d'un homme blanc de moins de 40 ans qui a fait une grande école de commerce. Cela devient même un problème de performance, car les écosystèmes qui réussissent sont toujours les plus divers. Nous avons besoin de plus de diversité et de plus de femmes. Beaucoup d'initiatives ont d'ailleurs été prises par le gouvernement et par les entreprises elles-mêmes sur ce sujet.

Avez-vous un exemple ?

C'est le cas de l'initiative Sista et de sa charte incitant les fonds d'investissement à mieux soutenir les femmes entrepreneures. Ou encore le programme du gouvernement French Tech Tremplin qui dispose d'un budget conséquent, 15 millions d'euros sur deux ans. Sa première phase consiste à permettre à 150 entrepreneurs et entrepreneures, venant de milieux peu représentés dans la French Tech, d'être mentorés, d'avoir accès à des réseaux et à des incubateurs, pour in fine développer leur entreprise.

La diversité, la mixité passent-elles aussi par la formation ?

C'est en effet dès l'école que les inégalités commencent à se former. Et cela va au-delà du numérique : les filières scientifiques comptent majoritairement des garçons, les filières littéraires des filles.

Comment y remédier ?

Si on regarde à l'international, on voit qu'il n'y a pas de solution magique. En revanche, une action résolue et constante de l'ensemble de la société pendant plusieurs années peut infléchir la tendance. L'Allemagne est parvenue à augmenter le nombre de filles dans les filières scientifiques, mais au prix d'efforts durant plus de dix ans. En France, depuis 2019, toutes les secondes proposent 1h30 d'enseignement technologique et numérique pour sensibiliser l'ensemble des filles au sujet.

Est-il aussi important de pouvoir se projeter ?

C'est toute la question des "role models". Filles et garçons doivent pouvoir se reconnaître dans des modèles de réussite féminine. Il y a des entrepreneures, des développeuses, des personnalités du numérique qui font le rayonnement de la French Tech, mais elles ne sont pas assez nombreuses. Il faut les mettre en avant pour faire en sorte que l'archétype de la réussite dans le numérique ne soit pas seulement Bill Gates ou Mark Zuckerberg. Mais aussi Marissa Mayer ou Sheryl Sandberg, pour ne citer que des exemples américains.

L'inclusion numérique est aussi un projet que vous défendez...

Dans notre pays, il y a environ 13 millions de personnes qui n'utilisent pas ou peu Internet. Une part de mon travail consiste à réduire cette fracture. Il faut faire en sorte de former au numérique ou d'apporter une solution à toutes les personnes qui en ont besoin.

Quels sont les besoins réels de ces personnes ?

Créer une boîte mail, déclarer ses impôts, s'inscrire à Pôle Emploi, suivre ses comptes ou remplir un dossier CAF : les services publics et privés sont de plus en plus numériques. Au-delà, il s'agit aussi d'être citoyen éclairé dans la société numérique. Lutter contre la fracture est donc à la fois une question de pur accès aux droits et aux services publics désormais numérisés mais aussi de compréhension du monde dans lequel nous vivons. Il y a actuellement 5 000 lieux de formation au numérique dans toute la France. Il faut les financer, les faire monter en compétence, les mettre en visibilité et en ouvrir encore davantage.

La formation au numérique s'étend-t-elle ensuite à d'autres usages ?

Quand vous commencez à former quelqu'un à ces questions-là, d'autres en découlent. Ce sont celles qui concernent la gestion des données sur les réseaux sociaux, les informations et fausses informations sur Internet, la problématique des courriers indésirables dans les boîtes mails ou celle de la parentalité à l'heure des écrans... C'est une nécessité d'autonomie et d'émancipation des gens, en plus de l'urgence créée par cette exclusion.

Votre principale source d'inspiration ?

En tant que ministre du numérique, Fleur Pellerin. C'est mon "role model".

Si vous deviez explorer un autre métier ?

Jeune, je rêvais d'être officier dans les paras. Malheureusement, j'avais une très mauvaise vue.

Votre meilleur souvenir professionnel ?

On fera le bilan à la fin.

Ce que vous recherchez le plus chez vos collaborateurs ?

Le sens du collectif.

Le manager que vous êtes ?

Exigeant et juste. Enfin j'espère.

Une entreprise que vous auriez voulu inventer ?

Space X.

Une citation que vous aimez vous répéter ?

" Il faut être celui qui reste ", Albert Camus, La Peste .

Un entrepreneur que vous admirez ?

Xavier Niel. Sans lui, l'écosystème de la French Tech n'en serait pas là.


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