Carrière : le "career cushioning", nouvelle stratégie face à un marché de l'emploi moins porteur ?
Publié par Linda Labidi le - mis à jour à
Après le ghosting, le quiet quitting, le rage quitting ou encore le rage applying, voici le career cushioning. Derrière ce nouveau terme en vogue dans les RH, une stratégie pragmatique et silencieuse, portée par un contexte économique incertain et un marché de l'emploi en perte de vitesse. Mais s'agit-il d'un repli, d'un calcul ou d'un renversement de paradigme dans la manière d'envisager sa trajectoire professionnelle ?
Le career cushioning, littéralement « coussin de carrière », désigne la manière dont certains actifs envisagent leur emploi actuel : non pas comme une fin en soi, mais comme un tremplin pour la suite. Une posture qui mêle prudence et anticipation. Il ne s'agit plus d'atteindre immédiatement un poste idéal, mais de capitaliser sur une situation transitoire pour développer des compétences, enrichir son profil et se préparer à rebondir lorsque le moment sera plus opportun.
Cette attitude touche particulièrement des salariés en demi-teinte sur leur emploi actuel : ni pleinement épanouis, ni prêts à démissionner dans l'immédiat. Ils choisissent donc de tirer parti de chaque tâche, projet ou responsabilité pour muscler leur CV. En clair : on met entre parenthèses la quête de sens immédiate au profit d'un investissement long terme sur son capital professionnel.
Des postes "alimentaires"... stratégiques
La notion s'élargit également aux actifs qui acceptent volontairement des emplois sous-dimensionnés, moins rémunérateurs, voire éloignés de leur coeur de métier. Une décision qui, sur le papier, peut sembler paradoxale. Mais à y regarder de plus près, elle relève d'une stratégie assumée : ces postes sont perçus comme des étapes, permettant d'acquérir les briques de compétences manquantes à un projet de carrière plus ambitieux.
Autre cas de figure : opter pour un poste moins exigeant (en charge mentale, en horaires, en responsabilités) afin de libérer du temps pour se former de manière autonome. Une manière de reprendre le contrôle sur sa trajectoire, en complétant son bagage de façon proactive. "L'éloge de la tortue", en somme, qui avance lentement mais sûrement vers son objectif.
Le sens du travail, redéfini
Selon Eric Gras, expert emploi chez Indeed, cette tendance n'a rien d'anecdotique. « Le career cushioning est à la fois une forme de prudence dans un contexte économique incertain, et une anticipation de carrière exacerbée. On remet à plus tard la quête de sens immédiat pour enrichir son CV, en attendant que le marché soit plus favorable. Ce n'est pas un désengagement, c'est un repositionnement stratégique. »
L'émergence du phénomène coïncide d'ailleurs avec le resserrement du marché de l'emploi : recul des offres, ralentissement des recrutements, prudence des entreprises. Face à cet attentisme généralisé, les actifs réagissent en planifiant plus finement leur parcours. Loin d'être passifs, ils prennent la main sur leur développement professionnel, quitte à revoir temporairement leurs ambitions à la baisse.
Une évolution structurelle des comportements
Alors, simple mode RH ou changement profond dans la manière de penser sa carrière ? Le career cushioning pourrait bien marquer un tournant. Celui où le sens du travail n'est plus uniquement attendu de l'entreprise, mais construit par l'individu, étape après étape. Où le poste actuel n'est plus la destination, mais un outil parmi d'autres pour tracer sa route.
Dans un contexte où un quart des salariés français envisagent de démissionner, selon une récente étude, le career cushioning pourrait bien devenir la norme d'un nouveau réalisme professionnel. Moins spectaculaire que le quiet quitting, mais sans doute plus structurant à long terme.